Fonctions et valeurs de l’image

chez Teodoreanu

 

B. Fonction perceptive de l’image

L’image dans La Medeleni a une seconde fonction, perceptive ou sensorielle, dans la mesure où elle implique et développe systématiquement l’un des cinq sens humains, en rapport avec les différents aspects de la création. La figure devient donc le moyen stylistique par lequel le romancier roumain transcrit en littérature, de manière phénoménologique, les structures transcendantes de l’imaginaire108, et la métaphore, plus particulièrement, «la forme la plus élaborée et la plus voluptueuse»109 du mensonge esthétique au fondement de la création artistique. Le tableau X et son graphique montrent qu’un sens (vue, ouïe, goût, odorat, toucher) entre presque toujours en jeu dans les tropes, principalement le sens visuel, et le sens auditif comme chez Mihail Sadoveanu110. D’un point de vue transcendental, éros et thanatos, éléments de vie et éléments de mort, forment les deux thèmes qui s’entrecroisent au fil des images du roman, à travers les objets, le monde naturel et les corps, comme un reflet de ces «deux cris brefs et opposés, le mysticisme et la sexualité» dont parlait Mihail Sebastian à propos du panlyrisme.111

X - Sens mis en jeu dans les images.

 

 

 

Sens

Total

Vol.1

Vol.2

Vol.3

Aucun

14

10

2

2

Vue

291

78

80

133

Ouïe

399

123

132

144

Toucher

8

7

1

0

Odorat

40

15

11

14

Goût

141

48

55

38

 

 

I. Images de l’Eros.

1. La lignée du lyrisme symboliste.

Teodoreanu excelle en effet dans l’art de rendre par l’image le «tressaillement de la vie»112, la palpitation de la chair, l’harmonie des sons, des couleurs, des parfums113. Héritier en prose du symbolisme poétique de Baudelaire, Verlaine et Mallarmé - auxquels il convient d’ajouter Albert Samain, plusieurs fois cité dans La Medeleni - , le romancier roumain se range aussi dans la lignée lyrique d’Hortensia Papadat-Bengescu en Roumanie dans ses premières proses (Marea, Ape adânci114), de la romancière Colette et de la poétesse Anna de Noailles en France115, de Thomas Wolfe aux Etats-Unis116, par l’art subtil et délicat de saisir la sensation ineffable de l’instant, par le souci d’aborder la réalité «sur tous les fronts» - pour reprendre l’expression de Suchianu117, sans se limiter aux procédés d’appréhension organique du naturalisme, comme chez Liviu Rebreanu, ni aux procédés d’appréhension intellectuelle, comme chez Macedonski en poésie et en prose, ou comme chez Camil Petrescu dans le roman. Teodoreanu se range aussi plus généralement parmi les prosateurs roumains exploitant le «filon sensoriel de la littérature», comme Ion Creangă, Mihail Sadoveanu, Damian Stănoiu, Tudor Arghezi ou męme George Călinescu avec Cartea Nunţii ["Le Livre de la Noce"].118

2. Le mythe fécondant de la poésie.

À ce pôle érotique de l’image teodorenienne, dans un monde où le désir s’embrase et fait feu de toute paille, imprégné de la grâce subtile et de la volupté inflammable de l’éther, il faut sans doute relier le mythe fécondant de la poésie et le motif récurrent de l’œuf, présent dans les trois volumes de La Medeleni, ainsi que le caractère prolifique de la forêt d’images explorée dans le chapitre précédent, où les figures tissent, sur une terre fertile, en s’engendrant les unes les autres, un dense réseau de sens.

Dans la trilogie roumaine, les images érotiques se développent en empruntant leurs phores à trois principaux domaines que sont l’exotisme, le règne animal et le règne végétal, et en s’appliquant, d’une parft, aux éléments et objets du monde naturel, d’autre part aux objets gustatifs ou polysensoriels du boire et du manger, enfin au corps humain comme objet de plaisir.

a. Le monde naturel.

Dans le monde naturel et sensuel du domaine moldave, un peu comme dans L’invitation au voyage de Baudelaire, largement citée dans Crăciunul de la Silvestri ["Le Noël de Silvestri"] - un autre roman de Teodoreanu paru en 1934 - , les violes oubliées dans le grenier de la maison Deleanu ont le ventre bombé de la volupté, les violons bruns - le col sinueux des cygnes119. Dehors, dans le "paysage de Medeleni"120, les automnes tissent au fil des ans leurs images de fruits mûrs et de raisins juteux, le parfum des mélilots jaunes a le visage d’anges doux et tristes121, les pigeons frémissent entre ciel et terre «ca sânii între umeri şi pântece»122, les blés ondoient de manière nonchalente leur «coapse de soare»123 jusqu’à l’horizon. Portant à son comble l’érotisation de la nature si souvent à l’œuvre dans le roman - une nature «sensuelle et en même temps très spiritualisée», disait Ibrăileanu124 - , la ligne des colline caresse langoureusement la nuit «ca o cădere de voaluri lente de pe goliciunea lunară»125. L’univers cosmique lui-même s’enflamme d’images fécondantes et où la nature s’irrise d’un frisson voluptueux semblable à celui qui traverse la prose merveilleuse d’Eminescu et l’île d’Euthanasius dans Cezara. La Voie lactée frémit dans La Medeleni «ca vântul într-un lan astral de rochiţa rândunelii»126; les corps célestes ont les gestes alanguis des corps de l’amour: le clair de lune pénètre la nuit «ca o spada în teacă de catifea»127, le soleil couchant l’horizon «ca o acadea roşie în buzele mai puţin roşii ale zării»128.

b. Le monde des mets.

Dans le monde culinaire de Medeleni, où règne la pulpeuse et imposante baba, les mets eux-mêmes s’érotisent ou portent au désir par l’exacerbation des sens. Caractérisé, comme on l’a déjà dit, par un goût viscéral de la "primitivité"129, Teodoreanu reprend et développe dans le roman roumain la tendance, manifestée auparavant déjà chez Alexandru Odobescu, Calistrat Hogaş et Mihaïl Sadoveanu, à aborder les aspects culinaires, œnologiques et gustatifs en général de l’existence.130 À ceci près que les auteurs de Câteva ore la Snagov ["Quelques heures à Snagov"] et de Pe drumuri de munte ["Sur les chemins de montagne"] abordent généralement le sujet plutôt par la tangente. Dans La Medeleni, les abricots du verger sont humides et chauds dans la main, «ca pieliţa pântecului când trupul stă la soare»131; toujours dans le registre végétal, le cantaloup sorti du cellier laisse couler «ca dintr-o besectea orientală [...] şiruri blonde şi roşcate»132; l’assiette offerte à l’invité inattendu présente à l’œil un spectacle culinaire en harmonie secrète avec la Moldavie dont sa saveur émane, et surpris dans une sorte de morceau de bravoure: «În faţa tacâmului solitar al lui Herr Direktor, curba de aur roz a ochiurilor, palpita; alături de farfuria lor, mămăliguţa poetică şi adormită ca o poreclă moldo-venească a soarelui; mai încolo, untul tatuat cu linguriţa şi împodobit cu două ridichi violent roşii; şi smântâna cu ten de madonă...»133; enfin la description du dîner offert en l’honneur de Monica et d’Olguţa engendre une accumulation de comparaisons ŕ visée synesthésique, mettant en jeu de manière exquise et convergente les sensations visuelles, tactiles, olfactives et auditives: «După sărmăluţe apăru curcanul fript, din care baba exaltase armonii culinare demne de cele scoase din strunele violinei de mâna lui Enescu. Cojiţă castanie ca obrajii sfinţilor din afumatele icoane, sfărmicioasă ca întăiul îngheţ al apei, spart cu degetul de copii, iar subt ea, cărniţă albă şi brună, care se topea suculentă ca pulpa perelor de toamnă.»134

c. Le monde du corps humain.

Retrouvant la fraîche vision sensualiste de son premier volume de prose, Uliţa copilăriei ["La Ruelle de l’enfance"], avec les vibrations de Dinu devant la nudité de Ioana dans la nouvelle Vacanţa cea mare ["Les grandes vacances"] et de Ştefănel devant les formes de mademoiselle Sonia dans Cel din urmă basm ["La dernière légende"], Ionel Teodoreanu développe, dans Drumuri surtout, un ample réseau d’images et d’ "effervescences érotiques"135 liées au corps humain en général et féminin en particulier. Ce n’est pas le thème, déjà développé par un romancier français à qui Teodoreanu doit beaucoup - Romain Rolland, avec le troisième livre de Jean-Christophe et les amours de l’adolescent et de la sensuelle Ada - , et abondamment traité par le roman roumain de l’entre-deux-guerres, notamment par Frederic Aderca et Gib Mihăescu, qui fait l’originalité de l’auteur de La Medeleni, mais la manière lyrique dont il aborde une véritable "poésie des sens", pour reprendre l’expression bien choisie de Perpessicius.136håescu

• Registre exotique.

Le thème spécifiquement symboliste de l’exotisme éveille des images, des reflets et des sensations souvent suggestives. Ainsi le corps d’Adina Stephano offert à Danuţ s’illumine «ca o zeitate păgână de mii de torţe, alb subt fâlfâirea limbelor roşii»137; les mains de l’éphèbe envoûté pressent et enserrent les seins de la jeune femme «ca placile de preţios metal bombat pe pieptul dansatoarelor orientale»138.

• Registre animal.

Le registre animal, quant à lui, connotant l’érotisme par ses éléments naturels et sauvages, est emprunté par d’autres images simplement suggestives ou plus osées, et mettant en jeu le genre volatile et équestre: les lignes de l’épine dorsale d’Olguţa s’élčvent des cuisses aux épaules «ca ciocârliile în soare»139, les mains de Dănuţ caressent le corps soyeux d’Adina «ca zborul berzelor pe rozul câmpiilor în zori»140, le sein de celle-ci est «viu în spaima lui de hulub captiv»141 et semble éclater au travers de son chemisier «ca un galop prin flăcări, însuliţând»142, alors que les cheveux de Dănuţ brűlent intensivement dans une image très forte, mettant en jeu le cheval encore une fois, «ca o tortă pe un întunecat galop în adâncuri»143.

• Registre végétal.

Le registre végétal, enfin et surtout, permet le développement d’images érotiques souvent plastiques mais parfois vulgaires et conventionnelles, et faisant appel avant tout au sens visuel, gustatif et tactile: la bonne Sevastiţa est pour Dănuţ «ca o legumă păstrată pe nisipul din fund»144, Adina est fraîche et radieuse «ca o mandarină descojită»145, par métonymie ses baisers ont le goût de mûres juteuses. La réussite est plus manifeste quand Teodoreanu fait appel au pouvoir suggestif de la métaphore elliptique (l’étreinte haletante des amants est évoquées par un superbe «tremur de frunzisuri subt lună»146), ou lorsqu’il approfondit l’image par cercles concentriques en l’épuisant en une longue métaphore filée; ainsi l’âme de Dănuţ est «o mână crispată pe un trandafir. Un trandafir roşu ca o sărutare în întuneric, când trupurile-s lipite - dens, adânc, elastic, aromat şi cărnos, cuprins în pumnii Adinei şi sărutat în miezul petalelor ca o gură.»147

 

II. Images du Thanatos.

1. L’écriture du néant.

Pourtant, à toutes ces images érotiques, reflets voluptueux d’une vie frissonnante et riche en sensations, viennent se mêler, au fil du roman La Medeleni, des figures de la mort où œuvrent des forces de dissolution et d’anesthésie. L’abondance de ces figures thanatiques s’explique sans doute par la double polarité de l’être enfantin dont parle Paul Anghel avec beaucoup d’intuition, qui écartèle le sujet et donne à la matière romanesque et lyrique de l’écrivain roumain une dimension de mélancolie et d’angoisse - écartèlement entre, d’une part, «une volupté dévorante et préconsciente, un état de fuite perpétuelle vers le feu de l’enfance, vers l’enfance comme état pur», et, d’autre part, une aspiration de l’être à la maturité adulte, «qui le dévore à son tour et l’expulse irrémédiablement de l’enfance.148 Mais ce trait stylistique peut s’expliquer par d’autres considérations, relevant moins de la psychologie.

Le désir obsessionnel de l’artiste d’approfondir la sensation transposée en image par le développement et la ramification de la figure - ce que Nicolae Davidescu identifiait avec justesse comme "image dissociée", sans entrevoir toutefois la portée de ses remarques sur le plan de l’esthétique littéraire149 - amène l’écriture romanesque à ne plus serrer, en dernier recours, que le néant des mots. Le "surpolissage" des images150 est plus en fait un creusement labyrinthique à travers le trope pour rejoindre l’ineffable des sensations, et qui ne fait que provoquer l’errance, la fuite en avant, le tourbillon de la conscience, renforçant l’aspect très baroque de l’écriture, au sens où l’entend Daniel Klébaner: «au lieu d’être une progression en ligne droite vers un centre, une pénétration à l’intérieur des choses, l’accélération des métaphores est un tournoiement centrifuge. Elle reporte l’image sur l’image, semblant ne pas progresser dans la connaissance de l’objet, mais en vérité, dans ce faux-semblant, s’éloignant, comme en spirale, d’un point objectif qui n’existe pas.»151

a. L’agonie cruelle de la sève.

Aussi cette course heuristique n’aboutit-elle qu’à un leurre: la volupté que tente d’appréhender Teodoreanu par l’image exprime presque toujours une langueur ou une blessure, comme chez Verlaine ou chez Albert Samain, «un parfum de tilleul mêlé à l’agonie cruelle de la sève»152. Ainsi la possession d’Adina fait naître en Dănuţ un désir et en męme temps un mal viscéral qui s’insinue dans une longue figure accumulative et nerveuse, «ca suferinţa sevei în tulpini frânte, cu floarea smulsă»153, et l’étreinte voluptueuse des amants se dissout dans le phore cruel d’une métaphore in absentia: «profunda bătaie de aripi a pasării de pradă care sfâşâie adânc viaţa trupului, demonica bătaie de aripi a trupului fierbinte în goliciunea lui de flacără cărnoasă»154.

b. La souffrance esthétique du texte.

La démultiplication des images de La Medeleni entraîne elle aussi une souffrance esthétique du texte romanesque. Ainsi la tentative du narrateur de cerner le vert des yeux d’Adina conduit à la réussite formelle d’une figure développée dans une phrase au rythme envoûtant d’une cadence majeure, avec des mots troublants et des sonorités harmonieuses qui provoquent une jouissance spirituelle du lecteur; mais elle mène à l’accumulation de fragments subséquents d’images, irrisés en éléments de plus en plus ténus et lointains, qui font que «l’unité sphérique des impressions»155 se brise, et qui se dissolvent, ici encore, dans la "petite mort"156 de la phrase: «Ochii Adinei erau verzi ca două ciudate cristale de sevă. Privirea lor învăluia sufletul în miros de ierburi după ploaie, de muguri cruzi, de pământ desţelinat, de vânturi ameţite în păduri cu violete. Privirea lor înseta buzele şi nările. Subt verdele lor - foc umed - trupul devenea gol şi păgân.»157. Il en va de même pour la superbe image en cadence majeure de Între vânturi, injustement critiquée par George Călinescu158, quand le romancier aborde le thème de la tumeur d’Olguta et surprend l’horizon marin comme un œil rouge, aveugle et dévorant. L’approfondissement étourdissant de la sensation s’effectue par une métaphore "décrochée"159, figure qui se développe jusqu’à "manger" l’espace du texte, toujours selon le procédé baroque de l’accumulation (parodié par le critique mentionné), pour aboutir, de fragment d’image en fragment d’image (mur, œil, sang), au néant des mots d’une figure d’une expressivité géniale et «aux résonnances de grandes orgues»160 mais d’allure presque vampirique: «Orizontul era straniu ca un zid care deodată ai simţi că te pândeşte c-un ochi de ciclop; ca un uriaş zid de marmură neagră care ar deveni deoddată un ochi roş, fără trup, fără cap, fără pleoape, fără gene, fără pupilă, ochi opac, orb, care totuşi te vede, vine, creşte, se dilată, te cuprinde, te soarbe umplându-se de sângele inimii tale...»161

c. Le trobar clus.

À la limite, il se peut que l’art de l’image chez Teodoreanu approfondisse à tel point la sensation que celle-ci s’éloigne inexorablement de l’objet; le danger de cette "pensée métaphorique", exaltante et angoissante en même temps, est naturellement le trobar clus162 impénétrable. À moins que l’image teodorenienne gagne précisément par cette dissolution métaphysique sa valeur vraiment artistique, comme le suggèrent ces vers de René Char:

 

Le temps vu à travers l’image est un temps perdu de vue. L’être et le temps sont bien différents. L’image scintille éternelle, quand elle a dépassé l’être et le temps.163

 

d. L’expression de la combustion ontologique.

En effet Teodoreanu excelle, dans le dernier volume de la trilogie surtout, à rendre par l’image la sensation ineffable de dissolution de l’âme, sa combustion lente, et ce passage imperceptible et secret, presque mystique164, de l’être au non-être. L’allégorie devient pour le romancier roumain un procédé de choix pour exprimer plus le mystère indicible165 d’états de transe lyrique que la révélation de vérités morales comme chez un prosateur chrétien tel que Gala Galaction166. Ainsi la mort imminente d’Olguţa, résolue ŕ se suicider, génère l’image suivante chez le romancier, particulièrement forte: «Viata plângea din depărtarea de lumină a viitorului, deasupra sufletului neclintit în gândul morţii, ca lumina în pădurile de brazi.»167; la lente immersion de Dănuţ dans le sommeil - une métonymie en plusieurs points d’une grande plasticité: «Şi încet-încet, treptat-treptat - cum se topesc în viteza neagră rândurile unei scrisori de dragoste, arsă în mână - sufletul lui Dănuţ se-ntunecă de somn, până când trupul, cu o delicată destindere, se despărţi de suflet, rămânând singur, ca mâna din care a picat în flăcări o cenuşă.»168; et la rêverie amoureuse de Mircea songeant à Olguta - cette comparaison mystique où viennent se fondre mort et renaissance, nuit pesante des corps et envol radieux vers le transcendant: «surâdea cu genele plecate, ca acele capete de mucenic subt care arde-o candelă în loc de trup.»169.

2. L’esthétique de l’inquiétant, du sordide et du macabre.

D’un point de vue perceptif toujours, Teodoreanu est, avec Rebreanu dans le roman170 et Tudor Arghezi en poésie, l’un des écrivains roumains du XXe siècle les plus doués dans l’art de rendre par l’image les aspects les plus sordides, laids et morbides de la création, et, d’autre part, avec Vasile Voiculescu et Mateiu Ion Caragiale dans la prose, l’un des plus habiles pour suggérer la sensation d’étouffement, de mystère angoissant, de menace existentielle des objets appréhendés par une perception grossissante et déformante. Ainsi le visage d’Adina Stephano est «palidă ca lumina prin care a căzut o pasăre ucisă»171; dans le regard orienté d’Olguţa qui contemple la nuit l’étang oů s’est noyée tante Fiţa, la surface brillante de l’eau est comme «o uşă îndărătul căreia o mână apasă clampa.»172.

Chez l’auteur de La Medeleni, la figure dégage ainsi l’angle immonde ou macabre des choses et apporte à la vision érotique le relief du grotesque et de la dissonance baroque: au lieu de l’extase de la chair, la décomposition des muscles et des peaux; au lieu des animaux langoureux, le bestiaire arthropode; au lieu de l’harmonie, la dissonance des bruits névrosants et des râles de moribonds. L’image sensorielle reprend alors certains éléments de l’esthétique symboliste et décadente du laid (Baudelaire, Arghezi) et de la névrose (Rollinat, Huysmans, Bacovia).

a. Registre sordide.

Ainsi, parmi les images sordides de la trilogie roumaine, se distinguent celles qui relèvent du sens tactile, très concrètes: la honte de la chair incommode Mircea «ca o cămeşă cleioasă în care eşti constrâns să dormi»173; Olguţa marche dans la boue avec ses caoutchoucs comme si elle «mâna o minge de fier cu paşi de piatră în fundul unei mări împăienjenită de meduze.»174; le corps des crapauds de l’Étang du Poulain est «bubos şi moale ca de bătrână viermănoasă»175. Hotarul nestatornic et Între vânturi ne manquent pas de figures visuelles caractérisées par des éléments abjects ou répugnants: les yeux souillés de moisissure de l’horrible grenouille Fiţa Elencu176 et son corps ventru d’idole chinoise «leproasă, ştirbă şi guşată»177, le dentier blanc et ferme de la grand-tante homonyme d’Olguţa, «ca un rânjet de strigoi»178, les mots du premier procès de Danuţ - «viol, incest, violenţă, sexualitate, perversitate - viermuind în el, ca limbricii, ca paianjenii, ca scorpiile.»179.

b. Registre morbide.

Enfin, parmi les images morbides du roman, domine le sens auditif. Ainsi l’agonie de moş Gheorghe est comparée à l’abattage d’un doux chêne, dans un lugubre grincement de scie180; le vieillard tousse «ca o toacă de vecerne omenească»181, près du poêle éteint gémissant «ca un tăran bolnav de piept»182.

• La matière gelée.

Mais l’art du romancier est apte aussi à saisir par une image rare et originale, particulièrement suggestive par l’aspect concret du phore, la sensation d’engourdissement du temps et de la matière, l’immobilité et la raideur de la chair autrefois frissonnante. Ainsi, à la fin de Hotarul nestatornic, les pensées de moş Gheorghe agonisant sont «nişte care troienite prin nebulosul îngheţ al iernii»183.

• L’eau morte.

De même, la première partie de Între vânturi développe un réseau d’images expressives et très plastiques, où le rythme de l’univers marin et cosmique coule en synchronie avec la progression inexpugnable du cancer d’Olguţa. Son cerveau est «negru, greu şi compact, ca o bucată de fier în ger»184; le temps suspendu sur le bateau Marseille-Constanţa, dans la nuit marine, génčre une sensation de solidification générale de l’univers, exprimée à travers une superbe image très baroque: «Cu domoala hărnicie de furnici urnind uriaşe greutăţi, clipele mişcau trupul de lăcustă moartă a minutarului.»185.

En effet, l’élement aquatique est toujours associé, dans l’image medeleniste, à des valeurs de mort, de décomposition fort éloignées de celles de l’allègre «source de montagne» d’Uliţa copilăriei ["La Ruelle de l’enfance"]. On se rappelle que l’Étang du Poulain, dans Hotarul nestatornic, était hanté par le souvenir de la noyage du jeune époux de Fiţa Elencu, ainsi que par une horrible grenouille peuplant les cauchemars d’Olguţa enfant, et tuée par celle-ci d’un coup de carabine; on sait que cette mare est liée, dans Între vânturi, à une autre chasse sanglante, au terme de laquelle Olguţa prend conscience du cancer qui la ronge, et se suicide. Les images morbides liées à la mer sont omniprésentes dans le dernier volume de La Medeleni, sans doute parce que l’élément aquatique correspond à l’appel du lointain de la principale héroïne, à une fenêtre sur l’ailleurs. Connoter négativement la figure marine186, c’est donc, dans l’esprit du romancier, signifier l’échec et la tragédie d’Olguţa. Dans la mesure oů la mer correspond aussi à la part musicale de l’âme de la jeune fille et à son désir voluptueux de purification, les tropes l’incluant permettent aussi à Teodoreanu d’exprimer à travers eux l’état de mort, de dissolution et de néant obscur. Le romancier ouvre ainsi la voie à la figuralité plastique et morbide de la mer chez Anton Holban187 et se situe pratiquement en phase avec Mateiu Ion Caragiale188.

c. Registre alchimique.

L’imagisme emprunte alors au domaine de l’alchimie maints motifs qui permettent à la fois une «caractérisation interne»189 (pour reprendre l’expression adéquate de Tudor Vianu) de certains personnages et une matérialisation presque lapidaire de l’écriture. Teodoreanu excelle en effet - comme seuls peut-être dans la prose roumaine Mateiu Ion Caragiale et Adrian Maniu - dans l’art d’appré-hender les secrets viscéraux de l’âme humaine par recours à un véritable travail sur le vieux mythe de l’athanor. Ainsi dans la rêverie de Mircea: «Gândurile lui Mircea începura să ia conture stranii, ca ale plumbului topit în turburi curcubee, când e aruncat în apă rece. Întortocheate de dorinţă, ostile, amare, diforme cădeau parcă de sus, îngreunându-i sufletul - şi-ncremeneau convulsionate.»190, ou dans celle de Dănuţ: «Era o ciudată anarhie în gândurile lui, o necontenită vrajbă. I se fragmentase sufletul, ca mercurul vărsat în palmă, şi-acum nu mai era decât larma unor gânduri contradictorii, care vociferau ascuţit ca femeile când se ceartă.»191. En ce sens, le style de La Medeleni vise bien en dernier ressort, pour reprendre la formule adéquate de Nicolae Barbu, une «palpation des seuils d’âge et de conscience»192.

Fonction humoristique de l'image

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  1. Cet aspect de la création littéraire du romancier roumain a déjà été mis en évidence par le philosophe Mihai Ralea, qui note que «chez Ionel Teodoreanu, le procédé artistique est la sensation» (Viaţa Românească, 1924, n°4, p. 141). De même, Ion I. Cantacuzino voit dans l’image teodorenienne un «équivalent grammatical pour rendre perceptible la sensation» (România literară, I, n°8, p. 3). Plus récemment, Silvia Tomuş relève avec justesse «un procédé de prédilection chez l’écrivain, la traduction de la sensation en comparaison et en métaphore, par l’association imprévisible»; voir S. Tomuş, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei  ["I. T. ou la Joie de la métaphore"], Cluj: Editura Dacia, 1980, p. 59.

  2. I. Teodoreanu, Cum am scris "Medelenii" ["Comment j’ai écrit La Medeleni"], conférence tenue le 5 décembre 1937 à Sibiu, ed. N. Ciobanu, Iaşi: Editura Junimea, 1978, pp. 166-167.

  3. Selon Tudor Vianu, Sadoveanu est «le plus remarquable poète descriptif de notre littérature»; toutefois les éléments visuels sont très réduits dans sa prose: «sa puissance évocatrice s’appuie, dans une proportion accablante, sur les facteurs auditifs.» (T. Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Albatros, 1977, coll. "Sinteze Lyceum", pp. 217-218.)

  4. M. Sebastian, Eseuri, cronici, memorial ["Essais, chroniques, mémorial"], ed. Cornelia Ştefănescu, Bucureşti: Editura Minerva, 1972, p. 36 (Cuvântul du 14 octobre 1927).

  5. Selon le philosophe de la culture, «la langue de Teodoreanu réfléchit en déformations et en synthèses d’une rare plasticité [...] le tressaillement de la vie»; voir L. Blaga, "Rumänische Prosa nach dem Krieg", Kronstadt, Klingsor, II, 1925 (12), p. 456.

  6. Basile Munteano distingue à juste titre dans le romancier «un psychologue sensuel et lyrique qui excelle à établir des correspondances entre l’âme et les choses et à traduire les moindres vibrations des sens et les mirages intérieurs les plus éthérés»; voir B. Munteano, Panorama de la littérature roumaine contemporaine, Paris: Éditions du Sagittaire, 1938, p.252.

  7. "La mer", "Eaux profondes". Selon Gheorghe Macarie, le premier récit de la célèbre romancière roumaine «se place sous le signe d’une véritable frénésie sensorielle»; voir G. Macarie, Geografie literară. Orizonturi spirituale în proza românească ["Géographie littéraire. Horizons spirituels dans la prose roumaine"], Bucureşti: Editura Albatros, 1980, coll. "Sinteze Lyceum", p. 19.

  8. La princesse était née Brancovan. Parmi les poètes symbolistes roumains, Mircea Zaciu établit une filiation pertinente du motif floral, qui relie Alexandru Macedonski, Dimitrie Anghel et Ion Pillat à Ionel Teodoreanu; voir M. Zaciu, "Ionel Teodoreanu, poetul marturisit şi nemărturisit" ["I. T., le počte avoué et inavoué"], Cluj, Steaua, XVI, 1965 (11), pp. 56-61. Cité d’après M. Zaciu, Masca geniului ["Le masque du génie"], Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1967, p. 226.

  9. Ange, regarde de ce côté, 1929. On pense à l’évocation palpitante des odeurs, sons et couleurs de l’enfance d’Eugene Grant en Caroline, dans ce célèbre roman lyrique.

  10. D. I. Suchianu, "Dulce prietenul meu, Ionel Teodoreanu" ["Mon doux ami, Ionel Teodoreanu"], Bucureşti, Viaţa Românească, 1974. Cité d’après Alte foste adevăruri viitoare ["Autres feu vérités d’avenir"], Bucureşti: Editura Minerva, 1983, p. 55.

  11. Paul Anghel voit dans ce filon sensoriel et vitaliste, sinon «un trait caractéristique de la littérature roumaine», du moins «l’un des signes de sa verdeur»; voir P. Anghel, "Amurgul toamnei sau Ionel Teodoreanu" ["Le crépuscule de l’automne ou I. T."], in Arhiva sentimentală ["Archive sentimentale"], Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1968, p. 299.

  12. Hotarul nestatornic, p. 283.

  13. Drumuri, p. 551.

  14. Hotarul nestatornic, p. 25.

  15. T. F.: comme les seins entre épaules et ventre - Drumuri, p. 465.

  16. T. F.: hanches de soleil - Ibidem, p. 245.

  17. G. Ibrăileanu, "Ionel Teodoreanu. La Medeleni", Viaţa Românească, XVIII, 1926 (9). Cité d’après Studii literare ["Études littéraires"], 1, Bucureşti: Editura Minerva, 1979, p. 449.

  18. T. F.: comme une chute de voiles lents sur la nudité lunaire - Hotarul nestatornic, p. 338.

  19. T. F.: comme le vent d’un champ astral sous la robe de l’hirondelle - Ibidem, p. 198.

  20. T. F.: comme une épée dans un fourreau de velours - Între vânturi, p. 353.

  21. T. F.: comme un berlingot rouge les lèvres non moins rouges de la ligne d’horizon - Ibidem, p. 360.

  22. Paul Anghel, op. cit., p. 302.

  23. Il s’agit peut-être aussi d’une composante tempéramentale familiale, épicurienne: le frère de notre romancier, Alexandru O. Teodoreanu, est l’auteur célèbre de chroniques gastronomiques et d’épigrammes bachiques. Voir G. Calinescu, Istoria literaturii române de la origini până în prezent ["Histoire de la littérature roumaine des origines jusqu’à présent"] ed. Al. Piru, 2e édition, Bucureşti: Editura Minerva, 1988, pp. 776-779.

  24. T. F.: comme la finde peau du ventre quand le corps reste au soleil - Drumuri, p. 263.

  25. T. F.: comme d’un coffret oriental [...] des colliers blonds et roux - Hotarul nestatornic, p. 157.

  26. T. F.: Devant le couvert solitaire de Herr Direktor, la courbe d’or rosé des œufs au plat palpitait; auprès de leur assiette, la mămăligă poétique et assoupie comme un surnom moldave du soleil; plus loin, le beurre tatoué par la cuiller à café et décoré de deux radis d’un rouge violent; et la crème fraîche au teint de madone... Ibidem, p. 154. La mămăligă est une espèce de polenta, préparée avec de la farine de maïs; elle constituait autrefois la base de l’alimentation traditionnelle.

  27. T. F.: Après les sarmale apparut le dindon rôti, dont la baba avait exalté des harmonies culinaires dignes de celles sorties des cordes du violon par la main d’Enescu. Peau châtain comme les joues des saints sur les icônes enfumées, friable comme la première glace de l’eau brisée par le doigt des enfants, et dessous la chair blanche et brune, qui fondait succulente comme celle des poires d’automne. Între vânturi, p. 265. Les sarmale sont des boulettes de viandes enveloppées dans des feuilles de vigne ou de chou; la baba désigne la vieille femme qui cuisine chez les Deleanu - on a gardé le terme roumain pour sa couleur locale.

  28. Ovidiu Crohmălniceanu, Literatura română între cele două războaie mondiale ["La littérature roumaine de l’entre-deux-guerres"], I, Bucureşti: Editura pentru Literatură, 1967, p. 360.

  29. Perpessicius, 12 prozatori interbelici ["12 prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Eminescu, 1980, pp. 272-273.

  30. T. F.: comme une divinité païenne éclairée de milliers de torches, blanc sous l‘ondoiement des flammes rouges - Drumuri, p. 291.

  31. T. F.: comme les plaques de précieux métal bombé sur la poitrine des danseuses orientales - Ibidem, p. 356.

  32. T. F.: comme les alouettes dans le soleil - Ibidem, p. 267.

  33. T. F.: comme le vol des cigognes sur le rose des plaines à l’aube - Ibidem, p. 220.

  34. T. F.: vif dans son effroi de pigeon captiv - Ibidem, p. 122.

  35. T. F.: comme un galop à travers les flammes, lançant des javelots - Ibidem, p. 228.

  36. T. F.: comme une torche sur un sombre galop dans les abîmes - Ibidem, p. 116.

  37. T. F.: comme un légume gardé sur le sable au fond d’une cave - Ibidem, p. 465.

  38. T. F.: comme une mandarine épluchée - Ibidem, p. 15.

  39. T. F.: frissonnement de feuilles sous la lune - Ibidem, p. 17.

  40. T. F.: une main crispée sur une rose. Une rose rouge comme un baiser dans l’obscurité, quand les corps sont soudés - densément, profondément, élastiquement, aromatiquement et charnellement, serrée dans les poings d’Adina et baisée au cœur des pétales comme une bouche. Ibidem, p. 202.

  41. P. Anghel, op. cit., p. 217.

  42. N. Davidescu, "Între coeficient şi număr _ Ionel Teodoreanu: Între vânturi" ["Entre coefficient et nombre..."], Universul literar, XLIV, 1928 (1), p. 10, rubrique "Chronique littéraire". Le critique démontre parfaitement, mais en l’interprétant de manière erronée, le procédé d’atomisation des images à l’œuvre surtout dans Între vânturi: «Ionel Teodoreanu a cherché à donner corps statuaire à chacune de ses images; mais, pour ce faire, il a dû les ciseler séparément et détacher ainsi le détail de l’ensemble. L’image est devenue, en tant que telle, un but. À son tour, par un phénomène de scissiparité, durant le processus de création, chacune d’elles a donné naissance à d’autres images subséquentes. M. Ionel Teodoreanu a de nouveau statufié ces dernières en corps isolés.» Et Davidescu conclut: «Le roman s’évertue ainsi à extraire la racine carrée d’une quantité négative.» Pour une analyse assez voisine, avec référence à l’architecture rococo de La Medeleni, voir Mihai Ralea, "I. Teodoreanu", Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927 (336), pp. 1-2; cité d’après Portrete, cărţi, idei ["Portraits, livres, idées"], Bucureşti: Editura pentru Literatura universală, 1966, p. 65.

  43. La même critique est formulée par N. Davidescu dans Universul literar, XLIV, 1928 (4), p. 56 (rubrique "Critique littéraire").

  44. D. Klébaner, "Passage d’un oiseau vite devant la fenêtre", in L’adieu au baroque, Paris: Gallimard, 1979. Apud E. Cardonne-Arlycke, La métaphore raconte. Pratique de Julien Gracq, Paris: Klincksieck, 1984, p. 246.

  45. Drumuri, p. 90.

  46. T. F.: comme la souffrance de la sève dans des tiges brisées et à la fleur arrachée - Ibidem, p. 43.

  47. T. F.: le profond battement d’ailes de l’oiseau de proie qui déchire dans le vif la vie du corps, le démoniaque battement d’ailes du corps brûlant dans sa nudité de flamme charnelle - Ibidem, p. 51.

  48. Pompiliu Constantinescu, Opere şi autori ["Œuvres et auteurs"], p. 89 ("Ionel Teodoreanu, Uliţa copilăriei, La Medeleni").

  49. Georges Bataille, L’érotisme, Paris: Gallimard, s.d.

  50. T. F.: Les yeux d’Adina étaient verts comme deux étranges cristaux de sève. Leur regard affleurait l’âme d’une odeur d’herbe après la pluie, de bourgeons verts, de terre défrichée, de vents saouls dans des bois violets. Leur regard assoiffait les lèvres et les narines. Sous leur vert - feu humide - le corps devenait nu et païen. Drumuri, p. 119.

  51. G. Călinescu, "Ionel Teodoreanu", Gândirea, VIII, 1928(1); Cronici literare şi recenzii ["Chroniques littéraires et critiques"], I, 1927-1932, ed. Andrei Rusu, Bucureşti: Editura Minerva, 1991, pp. 136-137.

  52. Henri Bonnard nomme ainsi des «prolongements de métaphore qu’aucune ressemblance sur le plan du réel ne justifie» (Procédés annexes d’expression, Paris: Magnard, 1982, p. 73).

  53. Ion Jitaru, "Note literare" ["Notes littéraires"], Vlăsia, III, 1928 (33), p. 617.

  54. T. F.:  L’horizon était étrange comme un mur que vous sentiriez soudain vous épier d’un œil de cyclope; comme un gigantesque mur de marbre noir qui deviendrait soudain un œil rouge, sans corps, sans tête, sans sourcils, sans cils, sans pupille, œil opaque, qui pourtant vous voit, avance, croît, se dilate, vous enserre, vous absorbe en s’emplissant du sang de votre cœur... Între vânturi, p. 10.

  55. Albert Henry, Métonymie et métaphore, Paris: Klincksieck, 1971, p. 21. Alexandru Philippide parle déjà, à propos de Ionel Teodoreanu, d’un «phénomène naturel de pensée métaphorique»; voir A. Philippide, Scrieri ["Écrits"], 4, Bucureşti: Editura Minerva, 1978, p. 182 ("Études et essais").

  56. R. Char, Feuillets d’Hypnos, 13, 1943-1944.

  57. À noter qu’on recense dans la trilogie près de 70 images impliquant l’âme, ce qui n’est pas sans conséquences. Il faudrait étudier La Medeleni dans cette perspective. Notons qu’avant d’avoir lu Între vânturi, Mircea Eliade affirme que Teodoreanu n’est «ni cérébral, ni mystique». Voir M. Eliade, "Medelenii şi medelenismul" ["La Medeleni et le medelenisme"], Cuvântul, III, 1927(652), p. 2. Mais cette remarque dépasse notre propos.

  58. Selon Michel Le Guern, la métaphore «permet de briser les frontières du langage, de dire l’indicible. C’est par la métaphore que les mystiques expriment l’inexprimable, qu’ils traduisent en langage ce qui dépasse le langage.» (M. Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris: Larousse, 1973, p.72.)

  59. Voir Tudor Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Minerva, 1988, coll. "Arcade", pp. 208-209. Dans cette perspective, Nicolae Barbu remarque avec justesse à propos de la métaphore teodorenienne: «Elle polarise les "mystères" à peine découverts de l’existence, elle les amplifie et confère à la perception cette tension qui accompagne toute expérience spirituelle nouvelle.» Voir N. Barbu, Vârsta Medelenilor ["L’âge de Medeleni"], in Sine ira... , Iaşi: Editura Junimea, 1971, p. 147.

  60. T. F.: La vie pleurait depuis l’éloignement de la lumière du futur, au-dessus de l’âme ferme à l’idée de la mort, comme la lumière dans les forêts de sapins. Între vânturi, p. 382.

  61. T. F.: Et tout doucement, peu à peu - comme fondent dans une vitesse noire les lignes d’une lettre d’amour brûlant dans la main - l’âme de Dănuţ sombra dans le sommeil, jusqu’ŕ ce que le corps, dans une détente délicate, s’éloignât de l’âme, restant seul, comme la main d’où tombe en flammes un flocon de cendre. Drumuri, p. 126.

  62. T. F.: il souriait, les cils baissés, comme ces têtes de martyrs sous lesquelles brûle une chandelle au lieu du corps. Ibidem, p. 190.

  63. D’après Tudor Vianu, domine chez le tenant du nouveau réalisme roumain, au lieu de la métaphore poétique, «la comparaison, choisie d’habitude parmi des domaines voués à jeter sur les choses des reflets de laideur, de ridicule ou de tristesse.». Voir Tudor Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Albatros, 1977, coll. "Sinteze Lyceum", p. 309.

  64. T. F.: blême comme la lumière à travers laquelle est tombé un oiseau mort - Drumuri, p. 560.

  65. T. F.: une porte derrière laquelle une main appuie sur le loquet. - Hotarul nestatornic, p. 186.

  66. T. F.: comme une chemise gluante dans laquelle on est contraint de dormir - Drumuri, p. 232.

  67. T. F.: poussait une boule de fer de ses pas de pierre, au fond d’une mer voilée de méduses. Hotarul nestatornic, p. 297.

  68. T. F.: boutonneux et flasque comme celui d’une mégère pouilleuse - Ibidem, p. 185.

  69. Ibidem, p. 369.

  70. T. F.: lépreuse, édentée et goitreuse - Ibidem, p. 187.

  71. T. F.: comme un ricanement de chauve-souris - Ibidem, p. 182.

  72. T. F.: viol, inceste, violence, sexualité, perversité - grouillant en lui, comme des ascarides, comme des araignées, comme des scorpions. Între vânturi, p. 163.

  73. Hotarul nestatornic, p. 371.

  74. T. F.: comme une toacă sonnant des vêpres humaines - Ibidem, p. 298. Sur le sens de toacă, voir la note , p.

  75. T. F.: comme un paysan poitrinaire - Ibidem, p. 300.

  76. T. F.: des chariots enneigés dans la glace nébuleuse de l’hiver - Ibidem, p. 374.

  77. T. F.: noir, lourd et compact comme un morceau de fer dans le gel - Între vânturi, p. 365.

  78. T. F.: Avec l’ardeur tranquille de fourmis ébranlant des charges énormes, les instants déplaçaient le corps de sauterelle morte de la grande aiguille. Ibidem, p. 17.

  79. Au début de troisième volume du roman, sur l’étendue marine vue par Olguţa plane le silence cosmique de la mort, éclairé par la lumière sinistre de la lune ou par l’énorme œil rouge hallucinant dont nous parlions plus haut; la jeune fille éprouve l’envie de se noyer dans l’eau glacée. La mer de La Medeleni est vampirique: elle est le lieu où tombe la dernière lettre de Vania à Olguta, lieu désert, de vent, d’attente vaine, qui avale et engloutit tout ce dont on se débarrasse parce qu’il fait mal ou peur - comme le dentier de Fiţa Elencu dans l’Étang du Poulain (Hotarul nestatornic, p. 183). Seule l’image du bateau entrant à l’aube dans le port de Constanta est connotée positivement, avec des éléments printaniers et lumineux (Între vânturi, pp. 82-84).

  80. Mări... ["Mers..."], 1934.

  81. Craii din Curtea-Veche ["Les Ribauds du Vieux Castel"], paru en volume à Bucarest en 1929, soit deux ans après Între vânturi, mais dans la revue Gândirea. ["La Pensée"] à partir de 1926. Nous renvoyons aux pages éclairantes de Gheorghe Macarie à propos de ce roman éblouissant. Selon l’essayiste, la mer est pour Pantazi, l’un des principaux héros, «le néant aquatique, auquel il aspire avec volupté; elle est associée à l’autre néant, celui de sa propre extinction». Voir G. Macarie, op. cit., p. 124.

  82. T. Vianu, Arta prozatorilor români ["L’art des prosateurs roumains"], Bucureşti: Editura Minerva, 1988, série "Arcade", p. 282, à propos de la prose de Ion Vinea.

  83. T. F.: Les pensées de Mircea se mirent à prendre des contours étranges, comme ceux du plomb fondu dans des arcs-en-ciel troubles, quand on le plonge dans l’eau froide. Entortillées de désir, hostiles, amères, difformes, elles semblaient tomber d’en haut en lui grevant l’âme - et se piétrifiaient dans un engourdissement convulsif. Drumuri, p. 235.

  84. T. F.: Il régnait une étrange anarchie dans ses pensées, une continuelle querelle. Son âme s’était fragmentée, comme le mercure versé dans la paume, et désormais elle n’était plus que le vacarme de pensées contradictoires, et qui vociféraient d’un ton aigu comme les femmes quand elles se disputent. Ibidem, p. 123.

  85. N. Barbu, op. cit., p. 146. Se référant de toute évidence au nouveau roman roumain, le critique signale avec beaucoup de finesse que la construction, sinon les images, de La Medeleni, rappelle «certaines formules contemporaines de la prose qui explorent des moments de combustion, les états qui précèdent où accompagnent un changement d’ordre moral ou axiologique.» (Ibidem, p. 150.)

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