Le gai roman des âmes enfantines

 

B. La représentation de la psychologie enfantine dans La Medeleni.

 

I. L’expérience du miroir et la recherche du moi.

1. L'image et le reflet.

La difficulté de l'entreprise romanesque de Teodoreanu réside essentiellement dans la nature protéiforme de son sujet. En effet l'enfant est une personnalité qui se cherche, un être de devenir et que caractérise l'instabilité; le moi en formation se dégage progressivement du magma universel, avec lequel il formait à l'origine un tout indifférencié. Le titre Hotarul nestatornic [«La marche mouvante»] évoque parfaitement cette limite intangible et vague qui sépare le moi du monde, la réalité du conte et la vie de la légende, le moi de l'autre, l'âge d'enfance et l'âge adulte. Dans un dialogue socratique où il essaie de faire la part de réussite et d'échec dans le premier volume de La Medeleni, l'Ego de George Călinescu définit de façon très claire l'enfant en 1928 de la manière suivante: «L'enfant, mon cher Ego, se caractérise par une fixation toujours en devenir des limites de sa personne. Quand il naît, comme tu le sais toi aussi, il n'a pas clairement conscience de soi ni de sa mesure. Il est une réalité objective qui coïncide entièrement avec ses perceptions, ou, pour m'exprimer autrement, le miroir d'un lac qui est saule ou nénuphar, cygne ou barque, oiseau ou lune, en cela qu'il n'a pas la vertu de distinguer, sur la surface lisse de l'eau, le reflet de la puissance réfléchissante.»29

2. Du narcissisme à l'angoisse.

a. «Miroir, mon beau miroir...»

Les petits héros de Hotarul nestatornic répètent avec plaisir et angoisse l'expérience primordiale du miroir: surface réfléchissante, lumineuse, qui matérialise deux états du monde en correspondance inversée l'un en face de l'autre, et qui fait que l'un objectivise l'autre. Le miroir, source de plaisir par la beauté limpide de son cadre et l'éclat concentrique de ses images, rassure les enfants sur leur appartenance au monde physique, leur offre comme une copie matérielle du regard des autres, qui en possède à la fois l'acuité objective et le manque de critique subjective. Ainsi Olguţa, revêtue de son nouveau pantalon, contemple dans la glace sa position d'escrimeuse30, ou son torse bombé31, puis sa chevelure coiffée par Monica sur «o enormă boabă de cafea Ceylon prăjită din cale-afară»32. Monica se regarde, dressée sur la pointe des pieds, en boutonnant sa robe33. Plus loin dans le roman, Dănuţ la surprend à travers le trou de la serrure occupée à se regarder narcissiquement dans le miroir; il juge avec jubilation cet acte comme une transgression d'interdit et une manifestation étincelante du moi de Monica: «--  Aha! / Dănuţ închise uşa salonului, uşurel, ramânând afară. Monica nu băgase de seamă. / --  Hm! / Prin gaura broaştei o văzu din nou uitându-se în oglindă. / --  Frumos! / A treia oară la fel. / --  Bravo! / Şi a patra oară. / Vra să zică Monica se uită în oglindă! Monica-cea- cuminte, Monica-cea-ascultătoare, Monica... se uită în oglindă. Se uită şi Dănuţ, dar el era băiat! Vra să zică Monica... / "Dar şi tu te uiţi pe borta cheii!" / "Asta-i altceva!" răspunse Dănuţ cu vorbe mute, gândului obraznic. / Şi, ca să- i dovedească, intră în salon brusc. Monica se uita pe fereastră. / --  Hm!»34

b. Les images troubles de Dănuţ.

Pourtant chez Dănuţ le miroir rend des images troubles. Sa matérialité réfléchissante est celle de l'eau profonde; il est l'azur et l'éther inversés, et la correspondance physique du front où dort l'imagination enfantine comme dans la musette d'Yvan: «Mai târziu, la lumina lumânării, Dănuţ îşi pipăise fruntea, privind-o în înecatul ciudat al oglinzii. O dezmierdase chiar, ca pe un dar. Acolo era turbinca lui Ivan, în care încăpea tot iadul şi tot pământul.»35

Une scène de Hotarul nestatornic particulièrement réussie du point de vue psychologique est celle où Dănuţ, resté seul dans sa chambre avec Ali sur la descente de lit, tandis qu'Olguţa et Monica font une bataille d'oreillers dans la pièce voisine, se regarde longuement dans la glace et entame une suite de réflexions existentielles sur la vie, les grands, lui-même. Ces pages d'analyse psychologique d'un enfant, où s'entrelacent imperceptiblement l'analyse de la réalité sujective dans le discours indirect libre et la parole vivante d'une âme qui se cherche, n'ont pas d'égales dans l'histoire du roman roumain. Le génie de Teodoreanu est ici d'avoir réussi à peindre le mouvement sinueux de ces méandres de réflexions qui semblent vraiment celles d'un enfant. Dans l'introspection qu'il accomplit, Dănuţ est amené à poser le problème de la continuité de son être individuel dans des formes que la vie fait évoluer sans cesse. Cet examen le plonge dans l'angoisse, parce que la croissance qu'il observe est mystérieuse --  mue étrange où un corps perçu comme étranger vient remplacer ce qui se consume où disparaît, comme un oeuf de bois envahissant l'oeuf de bois qui l'englobe, jusqu'à le rompre et à prendre sa forme parfaite --  et qu'elle évoque inévitablement la mort: «Îşi ridică ochii în oglindă şi privi sus, cu capul dat pe ceafă, locul unde va fi capul unui Dănuţ... capul lui Dan de peste mulţi ani... Parcă nui-i venea să creadă!... / Adică va veni un străin, un uriaş, îl va înghiţi pe Dănuţ, şi cu Dănuţ în el va face pe ceilalţi să creadă că-i însuşi Dănuţ?... Ciudat!... Şi Dănuţ unde va fi?... Dănuţ nu va fi nicăieri... / --  Nu vreau! se împotrivi Dănuţ, ca în faţa morţii şi-a mormântului.»36

• Les limbes de la mort.

Aussi bien l'idée de mort hante-t-elle Dănuţ non seulement lorsqu'il contemple son image dans les surfaces réfléchissantes, puisqu'elle est liée à la solitude de l'enfant dans ses moments d'introspection, solitude paradoxale dans la mesure où l'enfant n'est jamais seul quand il se parle à lui-même. Ainsi lorsqu'il se promène dans le verger pour la dernière fois avant de quitter Medeleni, Dănuţ se voit irrémisciblement seul et mort dans le cercueil de la tombe, dans la nuit des loups-garous37; après que Mme Deleanu l'a quitté et laissé seul au lit dans la chambre ténébreuse, il peuple encore sa solitude de la présence d'une pensée qui à la fois le terrorise et le rassure voluptueusement sur son existence: «Şi un alt gând, dimpreună cu celălalt, şoptea ca şerpii: "... În cimitir, se ridică din mormânt strigoiul. E galbăn la faţă, ochii negri ard; dinţii şi unghiile cresc, cresc... şi strigoiul vine fără să-l auzi, prin lumina lunii... În cimitir, în cimitir... Şi nici nu-l auzi când vine..."»38

• Les questions sans réponses.

L'introspection devant le miroir de la chambre provoque chez Dănuţ un trouble d'autant plus grand qu'elle amène des questions sans réponses pour l'enfant de dix ans qu'il est encore: celles de la procréation, de la différence des sexes, des liens héréditaires avec sa soeur et ses parents, et qu'elle le fait mettre en doute un moment l'unité psychique et sensoriel de son être, avant qu'il ne prenne conscience d'une part de l'obéissance de son corps à la volonté centrale de son cerveau, et, d'autre part, du principe de non-autodestruction: «Dănuţ se privi deodată în oglindă... El vorbea sau altcineva?... Îşi pipăi mânile, una pe cealaltă... Făcu mişcări cu degetele, cu braţul... / ... Vra să zică el, Dănuţ, era stăpânul lui: tot Dănuţ. El poruncea şi el asculta... aşa cum trebuia să asculte Dănuţ pe mama şi pe tata... El putea face cu el orice!... Spunea mânii: «Întinde-te» şi mâna se întindea... Dacă i-ar fi spus: "Zgârie-l pe Dănuţ", l-ar fi zgâriat?... Nu... De ce nu mai asculta?... Fiindcă n-avea cum s-o silească... Ba avea! Cu cealaltţa mână... Nici aşa! Nici una n-ar fi vrut să-l zgârie... De ce?... Fiincă nu le putea pedepsi... Ba da! Putea să le muşte!... Dar nici dinţii nu vroiau să-l muşte pe Dănuţ... Aşa-i! Mânile care nu vor să-l zgârie sunt mânile lui! ... Oare şi degetele gândesc?...39 /

 

II. L'expérience orphique de l'enfance

L'expérience du miroir, analysée par Teodoreanu dans son espace labyrinthique, met en évidence la dimension orphique de la psychologie enfantine. La surface réfléchissante est une ligne de partage des eaux: d'un côté la surface réfléchissante, encore brumeuse, du réelle et de la personnalité affirmée en actes qui le modifient; de l'autre la profondeur de la vie regardée comme rêve et comme légende, marais grouillant de désirs et d'aspirations vagues, de sensations amalgamées et dissociées (en un mot, de mythes), les tréfonds de l'enfance envisagée comme «humanité primitive», pour reprendre la belle formule d'Ibrăileanu40.

1. Parler aux choses

Chez les petits héros de Hotarul nestatornic, la frontière qui sépare le monde réel du monde de la fable, le monde des êtres du monde des objets, a la perméabilité d'un gué. George Călinescu remarquait avec justesse en 1928 que les enfants sont animistes et que leur vision du monde est anthropomorphique, pendulant sans cesse entre le réel et le fantastique: «Ils parlent aux choses, leur attribuent des sentiments humains, les punissent.»41 Certes, Ionel Teodoreanu n’innove pas entièrement dans ce domaine. Dans une célèbre nouvelle intitulée Muţunache, Emil Gârleanu, par exemple, peint déjà le petit Muţunache parlant aux ciseaux que sa mère cherche depuis une heure. C’est dans la lignée de Gârleanu que se situe ici Teodoreanu dans le traitement de l’orphisme enfantin, et non dans celle d’autres grands prosateurs roumains développant surtout le motif de l’enfant parlant aux animaux, et par rapport auquel il fait preuve d’une originalité incontestable. Certes, Delavrancea rend le dialogue drôle et tendre du narrateur, qui doit rentrer à l’école princière, avec le chien Griveiu et le chat Mărtinică42, Gârleanu toujours celui de Muţunache, six ans, et de son chien Bombonel; Brătescu-Voineşti, celui de Nicuşor, six ans ans, et de son rossignol43

Mais, dans Hotarul nestatornic, les enfants vont plus loin dans la transfiguration du monde, parce qu’ils animent et métamorphosent les objets familiers les plus simples. À ce don de l’enfance correspond une vision narrative où le monde s’anime et prend forme humaine. Ainsi, la pluie parle seule «ca o cerşetoare nebună», les hirondelles laissent sécher dans l’herbe «rochiţele umede de rouă»45; les insectes, enfin, préparent avec entrain leur orchestre champêtre: «Ca pentru un început de chef, nevazuţi, greierii îşi acordau subţire scripcele; broaştele îşi dregeau glasul...» Sinon les objets naturels et le bestiaire se métamorphosent par l’image en éléments inattendus: le cerf-volant en dauphin, la carriole en libellule, la bicyclette de Puiu en hirondelle, les meules de foin en «nişte falnici cozonaci abia scoşi din cuptorul verii»44.

Le romancier roumain se distingue aussi par l’art plein de naturel avec lequel il campe ses petits personnages recomposant le monde au gré de dialogues déconcertants de fraîcheur et de simplicité. Ainsi, lorsque Monica arrive pour la première fois à Medeleni et qu'elle observe que la voiture qui la conduit de la gare au domaine n'a pas de numéro, elle s'adresse en le tutoyant au véhicule: «Ocolind trasura pe dindărăt, să se urce în stânga, Monica se opri deodată, ca întâmpinată de un gând rău... Hăinuţa neagră, trăsura oprită! În mintea ei de copil necăjit, toate trăsurile mergeau spre cimitir; toate trăsurile oprite aşteptau pornirea convoiului... / --  Tante Alice! Trăsura n'are număr. / --  Sigur că n'are! Trăsurile de casă n'au număr. / --  N'ai număr! şopti Monica trăsurii şi-o bătu cu mânuţa, bucuros.»45

Chez l'enfant Monica l'univers est alors si plein de sensations, si riche de sons, de goûts, de couleurs, qu'il devient légende vivante, prête à surgir de chaque pierre et de chaque point du monde où le regard enchanté de l'enfant se pose: «Putea să răsară, acolo unde drumul se împreună cu albastrul, în haină albă, ţinând într'o mână inelul cu cheile cele grele care deschid porţile cerului, sfântul Petre surâzând.»46

2. La vie comme légende

Tout ici est vu comme dans les contes. C'est que Teodoreanu a représenté un enfant qui vit les réalités du monde et les voit indirectement à la troisième personne, en être fabuleux tel qu'on n'en voit que dans les livres, comme ces personnages hallucinés des Fêtes galantes de Verlaine, qui "n'ont pas l'air de croire à leur bonheur": «... Fiindcă de-a dreapta şi de-a stânga drumului se legănau lanuri de culoarea soarelui, când luminate, când umbrite --  fiindcă pe-alocuri s'alungau atâţia maci, de parcă toate pozele Scufiţei Roşii din cărţile de basme porniseră însufleţite, lăsând albe paginile, rumenind câmpiile...»47

Il est évident que cette hypostase de l’enfant mythique, issu tout droit du cadre des contes de fées, n’est pas entièrement neuve dans la prose roumaine. Certains personnages de Brătescu-Voineşti, qu’on imagine avec les yeux égarés des enfants de Tonitza, évoquent plus d’une fois l’image d’une Monica contemplant avec l’émerveillement d’un Petit chaperon rouge moderne le vivant spectacle de la nature. La petite héroïne de Teodoreanu rappelle beaucoup aussi, par son attachement indéfectible au souvenir de sa grand-mère, l’adorable Anişoara de Sadoveanu dans Povestea cu privighetoarea48, cette fillette de boyards qui parle au rossignol et qui dans le chant divin de l’oiseau croit entendre la voix de sa mère disparue. Pourtant Teodoreanu parvient à renouveler un narrème quelque peu usé, d’une part par l’ampleur qu’il lui donne, et, d’autre part, par le jeu contrapuntique qu’il met en œuvre beaucoup plus nettement entre le rêve issu de l’imagination enfantine et la réalité prosaïque du monde, et par la multiplicité des regards posés sur ce monde: ironique chez Olguţa, explicatif chez Madame Deleanu, mythique chez Monica et Dănuţ.49

a. L'art de la métamorphose

En cela Monica ressemble à Dănuţ, qui, dans Hotarul nestatornic comme il le fera plus tard dans Drumuri et dans Între vânturi en tant qu'écrivain, vit sa vie comme une légende. Sa capacité de métamorphoser une réalité immédiate prosaïque, décevante et qui le pénalise, est infinie. Dans la scène où les deux voitures conduisent les enfants de la gare de Medeleni à la propriété des Deleanu, Dănuţ aspire tant à rattraper le fiacre des filles, que son désir, comme dans ces contes où la haine prend les traits du dragon et l'amour ceux d'une colombe, métamorphose la réalité en légende: «Dănuţ închise ochii. / «... Se făcuse noaptea neagră ca iadul, când zmeul se năpusti năprasnic în urma fugarilor. Fugea calul lui Făt-Frumos ca vântul, dar zmeul s'apropia ca gândul şi Făt-Frumos simţea în spate...»50

De même, vers la fin du premier volume de la trilogie, quand Dănuţ reste seul avec Monica dans la maison de moş Gheorghe, et qu'il tente maladroitement de l'embrasser, la découverte de la sensation du baiser et l'initiation au rite des amours enfantines sont liées, dans l'imagination du petit héros, à l'icône d'une légende dorée. L'art romanesque de Teodoreanu (passage presque imperceptible du style indirect libre au discours direct, fusion subtile des plans réel --  Dănuţ et Monica assis sur le banc et le tabouret devant l'âtre --  et fictionnel --  Făt Frumos chevauchant son coursier avec la belle Ileana Cosânzeana en croupe) donne à cette icône une patine authentique et empêche qu'elle devienne à la lecture une simple image d'Épinal: «...Atâtea vitejii făptuise Făt-Frumos, că toate la un loc n'ar fi încăput intr-'o bibliotecă ticsită cu cărţi de poveşti. Şi totuşi nu era sătul. Pornise pe alte tărâmuri, spre alte isprăvi. / În inima lui Dănuţ, copitele calului năzdrăvan băteau un trap eroic... Un vâjâit de buzdugan? Nu. O muscă. Făt-Frumos opri calul. Dănuţ deschise un ochi: pe spinarea nasului, gâdilitor, o muscă peregrina. Strâmbă nasul, musca zbură, ilară. Ochiul deschis o întovărăşi până când se aşeză pe capul Monicăi. Dănuţ închise ochiul. / Monica avea cozi de aur ca şi Ileana Cosânzeana? Oare ce făcea Făt-Frumos când era singur cu Ileana Cosânzeana? O trăgea de cozi? / Nu. Se sărutau. Aşa spunea povestea. / Da de ce se sărutau?»51

b. Le rôle compensateur de la fable

La célèbre scène de la chasse à la grenouille, quand Herr Direktor et les enfants se rendent à l'Étang du Poulain pour anéantir la réincarnation diabolique de feue Fiţa Elencu, la grand-tante d'Olguţa et de Dănuţ, est une autre illustration de cette capacité enfantine, si bien représentée par Teodoreanu dans Hotarul nestatornic, de transformer toute réalité en légende et toute action concrète en récit fabuleux. En ce sens, on peut sans doute appliquer au roman de Teodoreanu la formule d’Ibrăileanu sur Dumbrava minunată de Mihail Sadoveanu: «une des plus envoûtantes combinaisons de réalité et de poésie»52 Par la technique subtile du contrepoint, le romancier alterne dans Hotarul nestatornic des éléments naratifs à valeur référentielle dans une vision objective (la présentation des protagonistes, les détails techniques de la chasse) et d'autres vus par le prisme focalisant et déformant de Dănuţ, qui métamorphose le récit d'une chasse crépusculaire à la grenouille en une quête mythique à valeur existentielle. Par la magie de l'imagination, qui lui permet d'oublier un temps qu'il n'a finalement dans cette chasse qu'un rôle de rabatteur et rien de la gloire de Nemrod, et que seule Olguţa règne en Diane moderne sur les bois, Dănuţ se change en roi des contes de fées et métamorphose la grenouille de l'étang en dragon maléfique et destructeur. Cette histoire qu'il s'invente permet à Dănuţ de s'envelopper, tout comme dans la scène initiale du cerf-volant, dans "le vent épique de la gloire"53, et de se regarder vivre, en quelque sorte, en spectateur halluciné, du haut de son propre mythe: «...Armatele închipuirii lui Dănuţ, călăuzite de împăratul lor, mergeau să ucidă un zmeu străjuit de balauri. Primejdiile pândeau la tot pasul. Zmeul putea să fure soarele şi să arunce noaptea ca un codru des în faţa năvălitorilor. N'avea grijă împăratul! Dădea foc codrului şi trecea mai departe printre flăcări. Parcă pompierii nu umblă prin foc!... Înaintea lui Dănuţ alerga Ali cu coada ţanţoş răsucită în sus ca o musteaţă rurală. / ... Cânele împăratului era năzdrăvan. Putea creşte cât o vacă; se putea preface în armăsar cu aripi, pe care nimeni nu cuteza să'l atingă... Dar pe împărat îl asculta ca un câne.»54

Cette puissante faculté imaginative que développe Dănuţ à la manière d'un des personnages des Enfantines de Valéry Larbaud (1918), au cours des 1365 pages de La Medeleni, comme enfant d'abord, puis comme écrivain du roman dans le roman, est fort bien illustrée dans la scène où l'enfant, assis entre Monsieur Deleanu et le cocher Ion sur le siège de la carriole, ouvre la musette d'Yvan. Teodoreanu reprend ici de façon originale le célèbre personnage des Povestiri55 de Creangă pour en faire le prototype de l'artiste et du créateur; la besace devient ici la figure de l'imagination qui, comme un puissant tourbillon de vent, transforme le monde réel en y semant le désordre et en y brisant les conventions. Elle permet à Dănuţ, en fermant les yeux, de peupler sa solitude d’enfant qui, comme Muţunache d’Emil Gârleanu, «n’est jamais seul quand il est avec lui», de "se transformer en quiconque, et en n'importe quoi"56, et de prendre sa revanche sur une réalité humiliante selon lui. «Subt pleopele lui Dănuţ, în adâncul lor, de acolo de unde vin lacrimile, se ascundea ceva, ca un somn cu visuri; cum închidea ochii era mai mare peste toţi, chiar peste tata şi mama. Pe mama o făcea împărăteasă, pe tata ori general, ori mare sfetnic, pe Olguţa ori copil de casă, ori o trimitea la bucătărie.»57

Dans cet état de conscience intermédiaire entre la veille et le songe, et qui est celui de la rêverie dirigée vers un objet, Dănuţ peut s'abandonner aux délices que lui procure une réalité métamorphosée par un cadre exotique éloigné du conflit russo-japonais, laisser à peu de frais le guerrier Kami-Mura s'incarner en pacha turc et montrer à Monica et à Olguţa, sultanes impuissantes à ses pieds, mais qui se moquent de lui dans la chambre voisine, son autorité ou sa mansuétude de justicier ou de libérateur. Pourtant cette rêverie n'a pas qu'une fonction compensatrice; elle est pour Dănuţ l'occasion de goûter à une certaine volupté du songe, évoquée admirablement par Teodoreanu grâce à un dense réseau d'images, de couleurs et de notations très plastiques: «... Dănuţ e paşă sau sultan: n'are a face! Capul e înfăşurat intr'un turban de subt care răsar două musteţi ca două iatagane şi o păreche de ochi fioroşi... Doi colţi lungi ies prin gură rânjind. Colţii sânt împrumutaţi de la un strigoi!... [...] / ...Sultanul stă pe un tron de aur. De-a dreapta şi de-a stânga, două arăpoaice cu dinţii ca frişca pe crema de cafea, flutură mari evantalii colorate. La picioarele tronului se'nşiră mii de turbane aplecate până la pământ. Toţi se închină sultanului. Numai doi harapi goi, negri şi buzaţi, cu părul des şi creţ ca icrele negre, stau drepţi ş'aşteaptă cu mâna pe securi. Nimeni nu vorbeşte. Sultanul ridică un deget... Răsare un armăsar care tresaltă şi rânjeşte... Sultanul face un semn... Harapii înnoadă cozile Monicăi de coada armăsarului... Monica muşcă dintr'o caisă. Nu'i pasă! Lasă că'i arată el sultanul!... O sută de mii de harapnice s'abat asupra calului...»58

c. L'affirmation d'une liberté

Cette rêverie est surtout l'occasion pour Dănuţ d'affirmer son moi dans la liberté et l'originalité par rapport à sa soeur, de se dégager ainsi de sa propre légende et de remonter vers le monde réel. Nous voyons dans cette attitude presque réflexe de Dănuţ la volonté d'affirmer par le jeu et l'humour une personnalité authentique, plutôt que la trahison d'»inclinations bovaryques embryonnaires» dont parle Gheorghe Iancovici en 1972 à propos de notre personnage, lorsqu'il écrit: «Le dragon, comme force impétueuse, et Făt Frumos, comme incarnation de la bravoure, de la générosité et de la prouesse, ne sont-ils pas des projections désidératives, telles que les a théorisées justement J. de Gaultier?»59

 

III. L'affirmation progressive du moi

Chez les enfants de Teodoreanu, le moi ne s'affirme pas seulement en se dégageant de sa propre représentation. La différenciation progressive du moi et du monde s'opère aussi par des actes qui participent à sa cristallisation, et c'est reconnaître à Teodoreanu une certaine habileté romanesque que d'affimer qu'il a réussi à les représenter.

1. Le combat avec la matière

Le premier de ces actes consiste en la confrontation de l'enfant avec les éléments physiques de l'univers. A ce propos, l'exemple de Dănuţ et de l'envol du cerf-volant dans la scène inaugurale du roman, est particulièrement significatif. L'expérience de l'azur, où s'abîme et s'affirme le moi, renvoie de manière inverse à celle du miroir où l'être se cherchait. Dans cette épreuve existentielle (la comparaison de Dănuţ au gladiateur est ici pleine de sens) où il doit affimer sa force humaine et vaincre les éléments aérien et terrestre, Dănuţ prend conscience qu'il est au monde et qu'il peut agir sur lui: les essais répétés qu'il entreprend pour élever l'engin dans les airs lui font découvrir à la fois le sens du possible et celui du risque, qui sont au fond ceux de toute aventure humaine. Avec ce personnage voulant donner l'illusion aux deux paysans qu'il est sûr de lui mais laissant voir combien la situation l'impressionne, goûtant aux délices de l'envol icarien et à la rage de la chute, à la jubilation et au désespoir, Teodoreanu donne au début de La Medeleni la force et la grandeur de l'Odyssée grecque. Après l'expérience de l'humilité, c'est raffermi et rassuré par le succès de l'envol que Dănuţ éprouve le sentiment de vanité qui le hisse un peu plus haut sur l'échelle individuelle: «--  D'apoi nu te doboară, boierule, namila asta? întrebă unul din ţărani. / --  Pe mine!?»60

Il se sent non seulement chargé d'une haute mission qui le rend en quelque sorte responsable et lui fait dire à Mme Deleanu: «--  Stai, mamă, nu vezi că am treabă!»61, mais aussi porteur d'un véritable mandat de Petit Prince prométhéen que Teodoreanu, dans un poème posthume intitulé Şi eu am fost copil62 et qui résonne de l'écho virgilien d'Et in Arcadia ego, a magnifiquement révélé à notre sensibilité:

Dar cine

Era mai dihai decât mine?

Când eu, ca nici altul, trecând peste toate,

Suiam, cu vara în mâinile zgâriate,

Un cogeamite zmeu cu cozi bârligate şi nări zvăpăiate?

Făcea: zbârr! zbârr!

Ce mândreaţă de faptă să stai năzdrăvan mâni în mâni cu atâta hatâr!

Nimeni pe lume

Nu săvârşise [...]

Iar eu, împărat pe o sfoară,

Pe-o sfoară cu zmeul la capăt, proptit pe voinice picioare

Domneam peste cer, peste soare,

Şi peste năprasnica vară.63

 

T. F.: Et qui

Était meilleur que moi?

Quand, surpassant tout mieux que quiconque,

Je faisais grimper, l’été dans mes mains griffées,

Un cerf-volant gigantesque aux queues retroussées et aux narines folâtres?

Il faisait: vrou! vrou!

Quel fier exploit de tenir enchanté tant de plaisir en mes mains!

Nul au monde

Ne l’avait accompli [...]

Et moi, roi d’une corde,

D’une corde attachée au cerf-volant, soutenu par des jambes vaillantes

Je régnais sur le ciel, sur le soleil,

Et sur l’été fougueux.

2. Le positionnement par rapport à l'autre sexe

Le second de ces actes grâce auxquels s'opère la cristallisation du moi enfantin est l'essai que font les personnages de Hotarul nestatornic de se positionner par rapport à l'autre sexe. À ce propos, la scène de la descente d'Olguţa et de Monica sur le quai de la gare de Medeleni est assez éclairante. Le mot fete dans la bouche de Dănuţ prend ici le sens d'une insulte grave et qui lui permet de s'individualiser nettement par rapport à Olguţa et à Monica: «Porniră înainte, împreună cu doamna Deleanu... Dănuţ le ajunse din urmă. / --  Voi... voi sânteţi nişte fete! le aruncă el cu glasul înecat de indignare. / --  Nu-i adevărat! bătu din picior Olguţa, răzbită de insultă. / --  Nici nu mai încape vorbă. Tu eşti băiat, interveni domnul Deleanu. Singura noastră fetiţă e Monica. Aşa-i, Monica? / --  Ba şi eu! protestă Olguţa... Da nu-i dau voie lui --  îl fulgeră cu degetul --  să mă insulte!»64

La fillette, quant à elle, semble osciller ici entre la reconnaissance de sa situation objective et la négation totale, mais elle s'individualise nettement plus loin dans son camp lorsqu'elle avoue à Monica après la leçon de français à table, où Dănuţ n'a guère brillé: «Aşa-s băieţii... proşti!...»65

Ce dernier semble vouloir se démarquer des filles avec acharnement, sans doute parce que la répartition des adversaires est déséquilibrée. Prenant pour une nouvelle provocation de sa sœur le fait que Monica a glissé amoureusement une poupée dans son lit, Dănuţ réagit très violemment dans un passage au style direct: «Are să vadă, Olguţa! Să-i pună o păpuşă în pat! Da’ ce-i el? Fată?... N’are decât să se bată dacă i-i poftă! Da’ să nu-l insulte.»66

Tantôt il lance en frappant à la porte des filles: «De asta învăţ eu, ca să mă persecute! Lasă... v'oi arăta eu vouă!»67, tantôt il prévient Monica qu'il ne se bat pas avec une fille68, ou savoure avec délices la certitude qu'il a d'être garçon: «"Ce bine-i să fii bărbat!" gândi Dănuţ respirând cu nesaţ aroma de tutun desprinsă din haina tatălui său, respirând cu convingere, duhoarea de tutun a mânilor şi a suflării lui Ion dela spate.69

Son rapprochement avec Monica devant l'âtre de la maison de moş Gheorghe va dans le sens, une nouvelle fois, de la montée d'un degré sur l'échelle individuelle, et le baiser qu'il donne et que la fillette reçoit sans feinte est incontestablement un acte de réalisation vitale et personnelle, adouci par beaucoup de pudeur et de tact.70 Et l'on ne peut que s'inscrire en faux contre Paul Anghel qui affirme en 1968: «L'abolition de la différence des sexes, pour revenir à ce motif, est elle aussi une facette du même vitalisme, une descente dans le primordial, vers les formes simplifiées dont l'équivalent, dans le monde édénique, sont les anges.»71

3. L'émulation générale

Dans le même ordre d'idées, l'émulation constitue un autre essai de positionnement du moi par rapport à autrui chez les personnages enfantins de Hotarul nestatornic. Ainsi la compétition qui s'engage entre Olguţa et son frère pour savoir qui accompagnera M. Deleanu dans la carriole jusqu'au domaine, donne lieu à un échange rapide de courtes répliques où s'affrontent deux opiniâtretés: «--  Pace vouă! le porunci râzând domnul Deleanu. Cine merge cu mine în bihuncă? / --  Eu! se pripi Dănuţ. / --  Ba eu! îl înlătură Olguţa. / --  Eu am spus întâi! / --  Ce-are a face! / --  Ba are! / --  Nu vorbesc cu tine.»72

La course qui s'engage ensuite entre les deux véhicules et les deux personnages est l'occasion pour eux de manifester une nouvelle fois leur individualisme --  par la rage chez Olguţa lorsque la carriole de M. Deleanu la dépasse, par la force vive chez Dănuţ, qui le pousse à atteindre une victoire et une revanche désirées coûte que coûte.

Même si les relations d'Olguţa et de Monica sont habituellement celles du prince et du page, l'émulation caractérise également la scène où elles s'habillent et se mesurent dans la glace: «--  Ia să vedem care din noi e mai înaltă? / --  Ce bine'ţi stă cu bluză roşie! Eşti frumoasă, Olguţa. / --  Tu eşti mai înaltă!... Da' eu îs mai voinică! se consolă Olguţa, lăţindu-şi umerii, bombându-şi pieptul în oglindă...73, ou celle où elles comparent sérieusement la force de leurs muscles74.

4. Le positionnement par rapport aux adultes

Les grandes personnes, enfin, permettent aux petits héros de notre roman de se positionner par rapport à un modèle et d'affirmer ainsi leur personnalité relative. Teodoreanu peint avec un sens de l'observation assez rare ces «anges égarés par les hommes»75 dont une des occupations préférées est de mimer les adultes.

a. L'initiation au rite des mots

Ce mime des grandes personnes se joue d'abord verbalement, par la discussion avec les adultes sur des sujets graves, et par la demande d'explication de mots ou d'idées nouveaux, qui trahit le désir des enfants de s'initier à leurs rites. Avide de connaître ces sens qui lui ouvrent, plus qu'une nouvelle dimension de la réalité, une façon originale de s'affirmer par rapport aux autres, Olguţa interroge et reçoit des adultes des réponses embarrassées mais qui ne la laissent jamais désemparée. Elle refuse de faire la sieste: «--  Nu poţi să dormi pe-aşa călduri! hotărî Olguţa, evaziv, răsucind linguriţa în dulceaţă. / --  Mata ai insomnii? / --  Ce-i asta "insomnii", mamă? suspectă Olguţa cuvântul şi politeţea formulei şi zâmbetul însoţitor. / --  Asta nu-i pentru tine. Mai bine spune drept de ce n'ai dormit? / --  Eu n'am insomnii! El are insomnii! aruncă Olguţa noul cuvânt în uşa lui Dănuţ, care dormea dus...» 76. Mme Deleanu hésite à laisser partir les enfants à la chasse à la grenouille avec Herr Direktor, l'oncle d'Olguţa: «--  Tu nu eşti fricos, Herr Direktor. / --  Sunt, când trebuie... prudent. / --  Ce-i asta prudent? / --  Curaj cu linguriţa. / --  Ca o doctorie. / --  Aşa-i bine. / --  Nu'mi trebuie. Eu îs sănătoasă.»77

Olguţa a appris le mot laş dans une poésie patriotique; avant de l'asséner à son frère qui ne réagit pas à l'outrage de la ficelle du cerf-volant coupée par elle méphistophéliquement, elle interroge malicieusement M. Deleanu: «--  Ce'nseamnă asta "laş", papa? / --  Cum să'ţi spun eu ţie?... Uite, dacă cineva îţi dă o palmă şi tu nu'i răspunzi eşti laş! / --  Va să zică eu eram laşă, papa? / --  De ce? / --  ... Bine, papa, când îmi trăgea mama cu papucul unde ştii tu? îi replicase Olguţa privindu-l pe subt sprâncene. / --  Asta-i altceva! începuse să râdă domnul Deleanu. / --  ... Şi dacă aş fi dat şi eu? îndrăznise Olguţa cu oarecare codeală şi fără convingere. / --  Ai fi fost obraznică, şi s-ar fi supărat şi papa!»78

Dans une digression à propos d'allumettes, toute la famille discute à table avec les enfants du larcin de Prométhée. Olguţa ne perd pas un mot du débat et demande: «--  Cine-i ăla, papa? / --  Un viteaz, Olguţa. A furat focul zeilor şi zeii l-au pedepsit mai rău decât pe hoţi. / --  Şi el s-a făcut haiduc? / --  Nu. A murit. / --  Şi cine l-a răzbunat? / --  Literatura, zâmbi doamna Deleanu.»79

Ses questions concernent aussi les paroles des adultes où elle soupçonne une censure due à sa présence, une réticence à dévoiler ce qu'elle juge être secret de grandes personnes; soit qu'elle demande à sa mère d'expliciter la comparaison qu'elle établit à partir des mains excessivement soignées de Herr Direktor, et qui sont celles d'une courtisane80, soit qu'elle interroge l'oncle coquet sur les demoiselles de Slănic "qui embrassent des messieurs": «--  Da, Herr Direktor. Eu vedeam umbrele lor... De ce se sărutau, Herr Direktor? / --  Se jucau, Olguţa. / --  Asta-i joacă?! / --  Joacă de oameni mari! / --  Mai rău decât copiii, Herr Direktor! Eu n'am să mă joc aşa niciodată. Herr Direktor, spune-mi drept dacă ţi-ar veni ţie să te săruţi pe gură cu o cucoană care nu ţi-i rudă?»81

Toutes les réponses des adultes amusent plus la fillette qu'elles ne satisfont son attente infinie, comme si Olguţa voulait s'individualiser par rapport aux grandes personnes en épuisant toute la masse verbale de l'univers limité. L'enfant est tout à fait conscient de cette restriction qui les rend à la fois sérieux et drôles tant ils sont vieux: elle imite avec une moquerie délicieuse leurs intonations verbales et le figé de leurs idiomes et formules: «Azi sunt bine dispusă, mamă dragă!»82

Par ses mots d’enfant, Olguţa rappelle ici, bien sûr, mademoiselle Paulette dans la préface de Henry Bordeaux à La Nouvelle croisade des enfants; ainsi, après que la malicieuse fillette entre dans le cabinet de travail de son père et lui réclame des jouets que celui-ci lui offre généreusement, Paulette lance à l’adulte un «Comme tu es faible, papa!». Les répliques enfantines de Hotarul nestatornic doivent sans doute beaucoup à ce populaire roman de Henry Bordeaux, écrivain français très traduit en Roumanie avant la première guerre mondiale, sans qu’on puisse bien sûr démontrer toute influence réelle.

b. Le mime gestuel

Les enfants imitent aussi les adultes dans leurs actes. Ainsi Dănuţ, le front trempé de sueur, refuse le mouchoir que lui tend Monica au salon par un indigné "Est-ce que je suis un enfant, moi?"83 Il tente de mimer par bravade ces êtres qu'il aspire à rejoindre. «Dănuţ, écrit Paul Anghel avec perspicacité, sent très tôt en lui la vocation de l'homme mâle. Il est troublé par le parfum de tabac des habits de M. Deleanu, enivré par les relents du même tabac dans l'haleine de Ion, il se bat avec le cerf-volant et éprouve la frayeur d'être englouti par le ciel, il a la passion des chevaux, et les tresses de Monica lui servent provisoirement de rênes.»84

Dans l'affaire de Ionică et de Pătru, Olguţa établit avec les deux garnements qui se chamaillent pour des boutons de culotte les rapports d'adulte à enfant qui existaient jusqu'à présent entre sa mère et elle. Elle prend très au sérieux ce rôle de juge impartial, ferme mais clément, qui la grandit à ses propres yeux85. L'épreuve de la multiplication qu'elle inflige aux deux coupables, dérisoire pour les adultes que nous sommes, mais piaculaire aux yeux des enfants qu'elle embarrasse, est représentée par Teodoreanu comme une scène de genre didactique où Olguţa jouerait à la maîtresse d'école.

Aussi bien l'imitation des grands par Olguţa et par Monica se situe-t-elle avant tout dans une perspective didactique. Dans l'émouvante scène où les deux fillettes rendent visite à moş Gheorghe dans sa petite maison blanche, lieu où les objets s'éveillent en choeur dans leurs yeux d'enfants émerveillés, Olguţa prend plaisir à expliquer à son amie tout ce qu'elle voit: «--  Vezi tu, Monica, asta-i dulceaţă de nuci verzi...»86, «--  Vezi, Monica, asta se cheamă fes...»87

Mais le mime des adultes prend aussi une valeur éthique quand la fillette se scandalise de ce que Pătru bat Ionică88, et esthétique quand Monica s'émerveille des yeux du petit frère de Pătru89.

c. L'individualisation réussie des caractères

Toutes ces tentatives des enfants de Hotarul nestatornic d'imiter les adultes en actes, sont représentées par le romancier avec assez de finesse et de précision pour qu'il parvienne à opérer entre eux, contrairement à ce qu'affirmait Eugen Lovinescu90, une très nette individualisation des caractères, en même temps qu'elles dévoilent de façon directe et non analytique les multiples facettes de leur moi qui s'affirme. Dans un article de 1963 à qui le renouveau des études teodoreniennes doit beaucoup, Marin Bucur explique de façon convaincante le double rôle joué par les adultes dans l'économie du roman: celui de repoussoir qui permet à Teodoreanu d'opérer une "différenciation des caractères" et celui d'explication génétique des divers éléments psychiques: «La présence des personnages matures, écrit Marin Bucur, était ici indispensable. Il convenait que nous connaissions le milieu familial de Dănuţ, que nous sachions comment l'éducation prendra greffe dans l'âme de chacun des enfants, ce qu'a hérité chacun d'entre eux de ses parents.»91

Cette individualisation des caractères donne au premier volume de La Medeleni une grande valeur d'authenticité et un profond intérêt dans la variété des formes esthétiques. Toutefois le génie du romancier est aussi d'avoir su tellement bien individualiser des types psychologiques du monde de l'enfance, qu'il leur a donné en quelque sorte une valeur universelle et presque classique. Ainsi à travers Dănuţ, Olguţa et Monica, pourtant si différents, Teodoreanu a su représenter des éléments psychologiques qui définissent parfaitement l'Enfance, et qui peuvent servir de références communes aux lecteurs adultes venus des quatre horizons.

5. La mise en avant du Je

a. Obstination.

L'un de ces éléments est la mise en avant du Je, plus extériorisée chez Olguţa que chez Dănuţ et Monica, et qui se manifeste d'abord par une volonté démonstrative et envahissante. Olguţa souligne le titre de sa punition avec une énergie qui la fait épointer sa plume92, force moş Gheorghe à la laisser tenir les rênes du fiacre93, ne démord pas d'avoir raison lors du procès de Mme Deleanu après le forfait du cerf-volant94, et déclare à sa mère qui la condamne: «--  Dacă-i aşa, eu mă mut. / --  Te muţi?! / --  Mă mut. / --  Şi unde, mă rog? / --  La moş Gheorghe. El nu mă persecută fiindcă am dreptate şi fiindcă nu-s băiat.»95 Elle s'oppose comme une mère tyrannique au départ de son frère pour Bucarest96 et ordonne sans explications à Profira de lui apporter des ciseaux, du papier et un crayon pour la préparation de sa vengeance97.

b. Instinct.

Dans sa forme la plus éclatante, ce je se manifeste aussi par l'instinct sans retenue. Teodoreanu a peint merveilleusement avec Olguţa cette animalité primesautière et irrésistible qui caractérise une enfance débordant de la vie la plus naturelle et la plus sauvage. En arrivant au domaine de Medeleni, elle exprime furieusement à la vieille cuisinière sa faim inassouvie de poulets rôtis98, et à moş Gheorghe sa soif de poires d'Oţăleanca et sa faim de caroubes: «--  Mi-i foame, protestă Olguţa. / De când aştepta moş Gheorghe vorba asta! / --  Sss! şopti el la urechea Olguţei; are moşul ceva!»99

c. Sens de la propriété.

Ce je développe aussi chez les enfants de La Medeleni un sentiment très exacerbé de propriété. Olguţa fait-elle irruption chez Dănuţ avec sa mère, il lui lance: «Ce cauţi la mine în odaie?»100; lui reproche-t-il de s'être promenée avec ses galoches, elle lui réplique "avec des galoches"; Profira la domestique lui emprunte-t-elle ses bas pour les repriser, elle éclate furieuse: «Am să-i arăt eu ei... Cum? Nu-i dau voie să umble în lucrurile mele!... Eu nu-s copil!...»101

La scène où Dănuţ réclame à sa mère la clé de sa chambre illustre merveilleusement ce sens de la propriété si aigu chez l’enfant, et que Teodoreanu a si bien observé et représenté: «--  Mamă, eu n’am avut niciodată cheia la mine! începu Dănuţ, cu ton plângător. / --  Ce cheie, Dănuţ? / --  Cheia de la odaia mea. / --  Da’ ce vrei să faci cu ea? / --  Să’nchid uşa, mamă... De ce stă cheia la Olguţa? Eu îs mai mare. / --  De ce nu’mi ai spus? / --  Am uitat. / --  Tare mai eşti copil, Dănuţ! îl dezmierdă doamna Deleanu. Uite cheia, şopti ea închizând uşa la loc. / I-o întinse rizând. Dănuţ încuie uşa, învârtind cheia de două ori.»102

Teodoreanu reprend ici, en le multipliant, un élément de la psychologie enfantine déjà entrevu par Delavrancea dans le sketch intitulé Bunicul103. Le petit-fils et la petite-fille s’y partagent la personne physique du grand-père et rivalisent de qualités dans un dialogue stychomythique révélant leur psychologie, leur sens de la propriété et du moi.

d. Sens de la valeur et de l’honneur.

À ce sens de la propriété en rapport avec l'affirmation du moi, se lie celui de la valeur des objets.. Olguţa n'ouvre à son frère la porte de sa chambre qu'en échange du fusil à flèches: «Şi ce-mi dai dacă deschid?»104

Enfin Ionel Teodoreanu à l'étude de la psychologie enfantine insiste à maintes reprises dans La Medeleni sur le sens de l'honneur et de la dignité personnelle, comme révélation d'un moi qui se cherche. Le serment qui implique le respect de la parole donnée, et qui n'est qu'une conséquence entre le mot et l'acte, engage Monica, Dănuţ et Olguţa dans leur intégrité morale. Une scène particulièrement réussie de ce point de vue est celle où Monica puis Dănuţ jurent à Olguţa de ne point révéler le secret des pots de confiture cachés derrière le poêle. Teodoreanu a su, avec le sens de l'observation verbale qui le caractérise, saisir et enregistrer toutes les formules rituelles de cet acte qui recrée une solidarité fraternelle en mobilisant toutes les ressources du moi idéal. Il a su rendre également avec beaucoup de finesse le sentiment de dignité comme ultime manifestation du moi chez nos enfants. Punie par sa mère après qu'elle a coupé la ficelle du cerf-volant de son frère, Olguţa refuse de quitter sa chambre aussi longtemps que Mme Deleanu ne l'aura pas personnellement invitée àvenir à table105; touchée par le coup de pierre de Dănuţ, elle feint d'avoir esquivé le projectile: «Nu m'ai lovit!»106

De même Dănuţ refuse la pitié de Monica qui veut le couvrir de sa pèlerine croyant qu'il a froid107; et dans la scène du cerf-volant, tout en attendant désespérément l'aide des adultes, il feint d'être capable de répondre seul au défi que lui posent les éléments.108

 

Conclusion

L'étude attentive de notre roman montre bien à quel point les reproches adressés par une partie de la critique roumaine à Teodoreanu109 résistent difficilement à la réalité mouvante d'une écriture romanesque originale. La psychologie de l'enfance est saisie ici sur le vif, essentiellement par la représentation des personnages en action et en dialogue, et non par une méthode d'investigation analytique. Partant de ce parti-pris, l'écrivain roumain réussit dans La Medeleni à mettre en scène, de façon vivante et naturelle, mais avec en même temps beaucoup de pénétration, les éléments majeurs de la relation psychique entre l'enfant et le monde: ce lien animiste entre la nature et lui, cette «profonde alliance sans laquelle ne semble s'étendre qu'une effrayante solitude» -- pour reprendre la belle formule de Jacques Monod110 --, son rapport à lui-même par l'expérience freudienne du miroir, aux choses et aux mots par l'expérience orphique, son lien aux autres et l'affirmation de son moi. Teodoreanu réussit finalement -- et c'est sans doute la tâche impossible des romans de ce type -- à saisir de façon dynamique, à travers Olguţa, Dănuţ et Monica, à la fois des psychologies différentes -- en quelque sorte, les possibilités limitées de l'enfance -- et, à travers la «contopire de viaţă şi de basm»111, le pouvoir de transfiguration d'un âge -- en somme, les ressources illimitées de l'esprit.

Début de chapitre

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  1. «Ionel Teodoreanu», Gândirea, VIII, 1928(1), (rubrique «Idei, oameni şi fapte»). Repris dans George Călinescu, Cronici literare şi recenzii, I, 1927-1932, ed. Andrei Rusu, Bucarest: Minerva, 1991, p. 129.

  2. La Medeleni, I, 43.

  3. Ibidem, p. 53.

  4. T. F.: un énorme grain de café Ceylon grillé à l’excès - Ibidem.

  5. Ibidem, p. 52.

  6. T. F.: -- Aha! / Dănuţ ferma la porte du salon, sans faire de bruit, et resta dehors. Monica ne s'était rendu compte de rien. / --  Hm! / Par le trou de la serrure il la vit de nouveau se regarder dans le miroir. / --  Joli! / La troisième fois, même chose. / --  Bravo! / Et la quatrième fois. / Alors comme ça Monica se regarde dans la glace! Monica la très-sage, Monica la très-obéissante, Monica... se regarde dans la glace. Dănuţ s'y regarde bien lui aussi, mais c'est un garçon, lui! Alors comme ça Monica... / «Mais toi tu regardes bien par le trou de la serrure!» / «Ça ce n'est pas pareil!» répondit Dănuţ à mots tus à la pensée impertinente. / Et, pour le lui prouver, il entra brusquement dans le salon. Monica regardait par la fenêtre. / --  Hm! Ibidem, p. 108.

  7. T. F.: Plus tard, à la lumière de la chandelle, Dănuţ se tâta le front en le regardant dans le naufrage étrange de la glace. Il le caressa même, comme un cadeau. C'est là qu'était la musette d'Yvan, qui contenait tout l'enfer et toute la terre. Ibidem, p. 19.

  8. T. F.: Il leva les yeux vers la glace et regarda en haut, la tête penchée sur la nuque, l'endroit où serait la tête d'un Dănuţ... la tête de Dan dans bien des années... Il n'arrivait pas à y croire!... / Un étranger viendrait donc, un géant, il avalerait Dănuţ, et avec Dănuţ en lui il ferait croire aux autres qu'il est lui-même Dănuţ?... Etrange!... Et Dănuţ, où serait-il?... Dănuţ ne serait plus nulle part... / --  Je ne veux pas! s'opposa Dănuţ, comme devant la mort et le tombeau. Ibidem, p. 87.

  9. Ibidem, p. 276.

  10. T. F.: Et une autre pensée, en même temps que l'autre, sussurait comme les serpents: «Dans le cimetière, le vampire se dresse de sa tombe. Il a la face livide, ses yeux noirs sont brûlants; ses dents et ses ongles poussent, poussent... et le vampire arrive sans qu'on l'entende, à travers la lumière de la lune... Dans le cimetière, dans le cimetière... Et on ne l'entend même pas quand il arrive...» Ibidem, pp. 91-92.

  11. T. F.: Dănuţ se regarda soudain dans le miroir... Était-ce lui qui parlait ou quelqu’un autre?... Il se tâta les mains, l’une après l’autre.... Il fit des mouvements avec les doigts, avec le bras... / ... Ainsi donc c’était bien lui, Dănuţ, qui était maître de Dănuţ. C’était lui qui ordonnait et lui qui obéissait... tout comme Dănuţ devait obéir à maman et à papa... Il pouvait faire de lui n’importe quoi!... Il disait à sa main: «Tends-toi», et la main se tendait... S’il lui avait dit: "Griffe Dănuţ", l’aurait-elle griffé?... Non... Pourquoi n’obéissait-elle plus?... Parce qu’il ne pouvait pas la forcer... Mais si! Avec l’autre main... Et encore ! Aucune d’elles n’aurait voulu le griffer... Pourquoi?... Parce qu’il ne pouvait pas les punir... Mais si! Il pouvait les mordre! Mais même ses dents ne voulaient pas mordre Dănuţ... C’était ça! Les mains qui ne veulent pas le griffer étaient ses mains à lui!... Et les doigts, est-ce que ça pense?» Ibidem, p. 89.

  12. Op. cit., p. 445.

  13. Op. cit., p. 132.

  14. «Domnul Vulcea», dans Hagi Tudose.

  15. «Nicuşor», dans Întuneric şi lumină, 1912.

  16. T. F.: Contournant la voiture par-derrière afin de monter par la gauche, Monica s’immobilisa soudain, comme assaillie d’une mauvaise pensée... Ces petits habits noirs, cette voiture arrêtée! Dans son esprit d’enfant chagrinée, toutes les voitures allaient vers le cimetière; toutes les voitures arrêtées attendaient le départ du cortège funéraire... / --  Tante Alice! La voiture n’a pas de numéro! / --  Bien sûr que non! Les voitures particulières n’ont pas de numéro. / --  Tu n’as pas de numéro! murmura Monica à l’adresse de la voiture, en la frappant joyeusement de sa petite main. Hotarul nestatornic, pp. 25-26.

  17. T. F.: --  Tante Alice, regarde! de la camomille! lança Monica en reconnaissant les fleurs piétinées dans la cour des écoles. / La camomille riait au soleil, en vacances elle aussi. / Et celles-là, tante Alice? / --  Des caille-lait jaunes. / --  Et celles-là? / --  Des pois de senteur! / --  Et celles-là? / --  Des capucines! / --  ... Caille-lait jaunes, répéta Monica en répétant les syllabes tremblant de soleil comme un vers oublié par les abeilles sur les lèvres des enfants. Ibidem, pp. 20-21.

  18. T. F.: On aurait pu voir surgir, là-bas où le chemin s’unit avec l’azur, en habits blancs, tenant en main l’anneau aux lourdes clés qui ouvrent les portes du ciel, saint Pierre souriant. Ibidem, p. 21.

  19. T. F.: ... Parce qu’à droite et à gauche du chemin ondoyaient des champs couleur du soleil, tantôt illuminés, tantôt ombragés --  parce que par-ci, par-là, défilaient tant de coquelicots, comme si toutes les images du Petit Chaperon rouge des livres de contes s’étaient réveillées et ranimées, laissant blanches les pages et rougeoyant les champs . Ibidem, pp. 15-16.

  20. «L’histoire du rossignol», dans le volume Bordeenii şi alte povestiri («Bordeenii et autres récits», 1912).

  21. Le prosateur qui rivalisera vraiment avec Teodoreanu, un an après la publication de Hotarul nestatornic, sera Mihail Sadoveanu. Le chemin magique de mademoiselle Lizuca dans Dumbrava minunată («La clairière merveilleuse», 1926), la rencontre de l’enfant avec les figures fantastiques de Sainte Mercredi, de Sœur du Soleil et de la Reine des Nuits, évoquent précisément l’aventure réelle mais transfigurée de la petite orpheline de La Medeleni.

  22. T. F.: Dănuţ ferma les yeux. / «Il faisait une nuit noire comme en enfer, lorsque le dragon se rua subitement à la poursuite des fuyards. Le cheval de Făt-Frumos fuyait comme le vent, mais le dragon s’en rapprochait comme une flèche et Făt-Frumos sentait derrière lui...» Ibidem, p.

  23. T. F.: ... Făt-Frumos avait accompli tant d’actes de bravoure, qu’une bibliothèque bondée de livres de contes n’aurait pu les contenir tous. Mais il ne s’en lassait pas. Il était parti vers d’autres contrées, vers d’autres exploits. / Dans le cœur de Dănuţ, les sabots du cheval enchanté battaient d’un galop héroïque... Un sifflement de masse d’armes? Non. Une mouche. Făt-Frumos arrêta le cheval. Dănuţ ouvrit un œil: sur l’arête de son nez, une mouche pérégrinait, qui le chatouillait. Il fronça le nez, la mouche s’envola, hilare. L’œil ouvert la suivit jusqu’à ce qu’elle se posât sur la tête de Monica. Dănuţ ferma l’œil. / Monica avait-elle des tresses d’or comme Ileana Cosânzeana? Que faisait donc Făt-Frumos quand il était seul avec Ileana Cosânzeana? Est-ce qu’il lui tirait les tresses? / Non. Ils s’embrassaient. C’est ce que disait l’histoire. Ibidem, p. 324.

  24. G. Ibrăileanu, Scriitori români, 2, Bucarest: E.P.L., 1968, p. 122.

  25. Ibidem, p. 3.

  26. T. F.: ... Les armées imaginaires de Dănuţ, guidées par leur roi, partaient tuer un dragon gardé par des monstres. Les périls menaçaient à chaque pas. Le dragon pouvait ravir le soleil et faire jaillir la nuit comme une forêt touffue devant les assaillants. Il ne s’en faisait pas, le roi! Il boutait le feu à la forêt et passait par les flammes. Les pompiers traversent bien le feu!... Devant Dănuţ marchait Ali, la queue arrogamment retroussée comme une moustache rurale.) / ... Le chien du roi était enchanté. Il pouvait se faire aussi gros qu’une vache; il pouvait se changer en coursier ailé, que nul n’osait effleurer... Mais il obéissait au roi comme un chien. Ibidem, pp. 180-181.

  27. Ivan Turbincă («Yvan la Musette»), dans Récits.

  28. Ibidem, p. 18.

  29. T. F.: Sous les paupières de Dănuţ, en leur profondeur, là d’où viennent les larmes, se cachait quelque chose, comme un sommeil plein de rêves; lorsqu’il fermait les yeux, il était plus grand que tous, même que papa et maman. Maman, il la changeait en reine, papa soit en général soit en sfetnic; quant à Olguţa, il la transformait en laquais, ou bien l’envoyait aux cuisines. Ibidem, p. 19.

  30. T. F.: ... Dănuţ est pacha ou sultan: ça ne fait rien! Sa tête est enveloppée d’un turban duquel pointent deux moustaches comme deux yatagans et une paire d’yeux effrayants. Deux longs crocs surgissent de sa bouche qui ricane. Des crocs empruntés à un vampire!... [...] / Dănuţ siège sur un trône en or. À droite et à gauche, deux Mauresques aux dents crème sur café agitent de grands évantails de couleurs. Au pied du trône s’alignent des milliers de turbans penchés jusqu’à terre. Tous s’inclinent devant le sultan. Seuls deux Nègres nus, sombres et lippus, se tiennent droit et attendent appuyés sur des haches. Nul ne parle. Le sultan lève un doigt... Surgit un étalon, qui tressaille et ricane... Le sultan fait un signe... Les Nègres nouent les tresses de Monica à la queue du coursier... Monica mord un abricot. Elle s’en fiche! Attends, il va lui montrer, le sultan!... Cent mille Mauresques se jettent sur le cheval... Ibidem, pp. 43-44.

  31. «Persitenţa viziunii bovarice la Ionel Teodoreanu», Orizont, XXIII, 1972(18), p. 2.

  32. T. F.: --  Elle ne te fait donc point mal, cette grosse bête? demanda l’un des deux paysans. / --  Mal, moi? Hotarul nestatornic, p. 3.

  33. T. F.: --  Attends, maman, tu vois bien que j’ai affaire! Ibidem, p. 7.

  34. Moi aussi j'ai été enfant.

  35. Alexandru Oprea, «Ionel Teodoreanu poet», Manuscriptum, I, 1970(1), p. 13.

  36. T. F.: Elles partirent plus loin, derrière Mme Deleanu... Dănuţ les rattrapa. / --  Vous... vous n’êtes que des filles! le lança-t-il, la voix noyée d’indignation. / --  Ce n’est pas vrai! trépigna Olguţa, meurtrie par l’insulte. / --  Ça va sans dire. Tu es un graçon, intervint M. Deleanu. Notre seule petite fille est Monica. N’est-ce pas, Monica? / --  Non, moi aussi! protesta Olguţa... Mais je ne lui donne pas le droit --  elle le foudroya du doigt --  de m’insulter! Hotarul nestatornic, p. 13.

  37. T. F.: Ils sont comme ça, les garçons... bêtes!... Ibidem, p. 85.

  38. T. F.: Elle va voir, Olguţa! Lui mettre une poupée dans son lit! Mais qu’est-il donc? Une fille?... Elle n’a qu’à se battre, si ça lui plaît! Mais qu’elle ne l’insulte pas! Ibidem, p. 343.

  39. T. F.: C’est pour ça que j’apprends, pour qu’on me persécute! Attendez... je vais vous montrer, moi! Ibidem, p. 38.

  40. Ibidem, p. 67.

  41. T. F.: «Comme c’est bien d’être un homme!» pensa Dănuţ en respirant avidement l’arôme de tabac des habits de son père, puis avec conviction les relents de tabac des mains et de l’haleine de Ion venus de devant. Ibidem, p. 24.

  42. Ibidem, p. 325.

  43. «Amurgul toamnei sau Ionel Teodoreanu», in: Arhiva sentimentală, Bucarest: E. P. L., 1968, p. 299.

  44. T. F.: --  Paix! leur ordonna en riant M. Deleanu. Qui vient avec moi dans la carriole? / --  Moi! se pressa Dănuţ. / --  Non, moi! fit Olguţa en l’écartant. / --  C’est moi qui l’ai dit le premier! / --  Ça ne vaut pas! / --  Si, ça vaut! / --  Je ne t’ai pas parlé. Hotarul nestatornic, pp. 13-14.

  45. T. F.: --  Voyons, qui de nous est la plus grande? / --  Comme le chemisier rouge te va bien! Tu es belle, Olguţa. / --  C’est toi la plus grande!... Mais moi je suis plus vaillante! ajouta Olguţa pour se consoler, en élargissant les épaules et en bombant le torse dans la glace...) Ibidem, p. 53. Ce narrème propre au récit d'enfance est repris dans Drumuri, lorsque Dănuţ et Olguţa, adolescents réunis à Bucarest, évoquent et rejouent les diableries de leur enfance. (Drumuri, p. 139.)

  46. Ibidem, p. 46.

  47. Perpessicius, 12 prozatori interbelici, Bucarest: Eminescu, 1980, p. 265.

  48. T. F.: --  Je ne peux pas dormir par une telle chaleur! décida Olguţa de façon évasive, en tournant la cuiller dans la confiture. / --  On a ses insomnies? / --  C’est quoi, des «insomnies», maman? demanda Olguţa en lançant le nouveau mot vers la porte de Dănuţ, qui dormait à poings fermés... Hotarul nestatornic, pp. 49-50.

  49. T. F.: --  Tu n’es pas un peureux, toi, Herr Direktor. / --  Je suis, quand il le faut... prudent. / --  C’est quoi, prudent? / --  Du courage à la petite cuiller. / --  Comme un médicament. / --  C’est bien ça. / --  Je n’en ai pas besoin, moi. Je suis en bonne santé. Ibidem, p. 179.

  50. T. F.: --  Ça signifie quoi, «lâche», papa? / --  Comment te dire?... Tiens, si quelqu’un te donne une gifle et que tu ne réponds pas, tu es lâche. / --  Ça veut dire que j’ai été lâche, moi aussi? / --  Comment donc? / --  ... Eh bien, papa, quand maman me donnait des coup de babouche là où tu sais! lui répliqua Olguţa en le regardant d’un air méfiant. / --  Ça c’est autre chose! partit à rire M. Deleanu. / --  ... Et si je lui en avais donné moi aussi? risqua Olguţa avec quelque hésitation et sans conviction. / --  Tu aurais été effrontée, et papa aussi se serait fâché! Ibidem, p. 55.

  51. T. F.: --  Qui est-ce, celui-là? / --  Un brave, Olguţa. Il a volé le feu aux dieux et les dieux l’ont puni plus cruellement que les voleurs. / --  Et il est devenu haïdouck? / --  Non. Il est mort. / --  Et qui l’a vengé? / --  La littérature, sourit Mme Deleanu. Ibidem, p. 209.

  52. Ibidem, pp. 179-180.

  53. T. F.: Oui, Herr Direktor. Je voyais leurs ombres... Pourquoi s’embrassaient-ils, Herr Direktor? / --  Ils jouaient, Olguţa. / --  Si ça s’appelle jouer! / --  Jeu de grandes personnes! / --  Pire que les enfants, Herr Direktor! Moi je ne jouerai jamais comme ça. Herr Direktor, dis-moi franchement s’il te viendrait à l’idée d’embrasser sur la bouche une dame qui n’est pas de ta famille? Ibidem, pp. 200-201. Teodoreanu reprend ici une tradition du mot d’enfant, peu exploitée par la prose roumaine avant lui, et qui participe beaucoup au charme de Hotarul nestatornic. Déjà chez Brătescu-Voineşti le petit Nicuşor, qui a apprivoisé un rossignol, demande à conu Mişu si l’on vend des œufs de fourmi à l’épicerie, parce que sa mère lui a expliqué que les rossignols en raffolent (Nicuşor, dans Întuneric şi lumină, 1912). Le filon sera abondamment exploité par Arghezi dans Cartea cu jucării («Le livre aux jouets», 1931), dans la lignée directe de La Medeleni.

  54. T. F.: Aujourd’hui je suis bien disposée, maman chérie! Ibidem, p. 108.

  55. Ibidem, p. 109.

  56. Op. cit., p. 297.

  57. La Medeleni, I, pp. 130-137.

  58. T. F.: Tu vois, Monica, ça c’est de la confiture de noix vertes... Ibidem, p. 119.

  59. T. F.: Tu vois, Monica, ça, ça s’appelle un fez. Ibidem, p. 124.

  60. Ibidem, p. 130.

  61. Ibidem, p. 131.

  62. Cf. infra.

  63. M. Bucur, «Ionel Teodoreanu», Viaţa Românească, XVI, 1963(6-7), p. 415.

  64. La Medeleni, I, p. 68.

  65. Ibidem, p. 17.

  66. Ibidem, pp. 63 sq.

  67. T. F.: -  Si c’est comme ça, je déménage. / - Tu déménages?! / - Je déménage. / - Et où ça, s’il te plaît? / - Chez moş Gheorghe. Lui ne persécute pas parce que j’ai raison et que je ne suis pas un garçon. Ibidem, p. 60.

  68. Ibidem, p. 344.

  69. Ibidem, p. 33.

  70. Ibidem, p. 27.

  71. T. F.: - J’ai faim, protesta Olguţa. / Depuis combien de temps moş Gheorghe attendait cette parole! / - Sss! murmura-t-il à l’oreille d’Olguţa; le moş a quelque chose! Ibidem, p. 21.

  72. T. F.: Qu’est-ce que tu cherches dans ma chambre? Ibidem, p. 90.

  73. T. F.: Je vais lui montrer, moi... Comment? Je ne lui donne pas le droit de fouiller dans mes affaires!... Je ne suis pas un enfant, moi!... Ibidem, p. 52.

  74. T. F.: --  Maman, je n’ai jamais eu la clé à moi! partit à se plaindre Dănuţ. / --  Quelle clé, Dănuţ? / --  La clé de ma chambre. / --  Mais qu’est-ce que tu veux en faire? / --  Fermer la porte, maman... Pourquoi est-elle toujours chez Olguţa? Moi, je suis plus grand! / --  Pourquoi ne me l’as-tu pas dit? / --  J’ai oublié. / --  Ce que tu peux être gamin, Dănuţ! lui lança Madame Deleanu en le consolant. Voici la clé, murmura-t-elle en refermant la porte. Ibidem, p. 342.

  75. Le grand-père, dans Între vis şi viaţă («Entre rêve et vie», 1893).

  76. T. F.: Et qu’est-ce que tu me donnes si j’ouvre? Ibidem,, p. 93.

  77. Ibidem, p. 76.

  78. T. F.: Tu ne m’as pas touchée! Ibidem, p. 340.

  79. Ibidem, p. 277.

  80. Ibidem, p. 6.

  81. Voir supra.

  82. J. Monod, Le Hasard et la nécessité, Paris, p. 49.

  83. Drumuri, p. 549.

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