Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre EAF 2016 1ST2S2 (français) Séquence nº 2: le personnage de roman et son mentor Lecture analytique nº 4 Voltaire, Candide, chapitre 3, depuis "Rien n'était
si beau" jusqu'à "pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde." CHAPITRE TROISIEME et ce qu’il devint Rien n'était si beau, si
leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les
trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons,
formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les
canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté
; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à
dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut
aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes.
Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes.
Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il
put pendant cette boucherie héroïque. Enfin, tandis que les deux rois
faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti
d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa
par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un
village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que
les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des
vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées,
qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des
filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de
quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées,
criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient
répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés. Candide s'enfuit au plus vite
dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros
abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des
membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre
de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et
n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent
quand il fut en Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde
était riche dans ce pays-là, et qu'on y était chrétien, il ne
douta pas qu'on ne le traitât aussi bien qu'il l'avait été dans le
château de monsieur le baron avant qu'il en eût été chassé pour
les beaux yeux de Mlle Cunégonde. […] |
Voltaire (1694-1778) XVIIIe siècle (18e s.)
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