Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre EAF 2016 1ST2S2 (français) Séquence nº 2: le personnage de roman et son mentor Lecture analytique nº 3 Voltaire, Candide, chapitre 1, depuis "Il y
avait en Westphalie" jusqu'à "et par conséquent de toute la
terre." CHAPITRE PREMIER et comment il fut chassé d’icelui Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était fils de la soeur de monsieur le baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps. Monsieur le baron était un des
plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une
porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une
tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans
le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; le vicaire
du village était son grand aumônier. Ils l'appelaient tous monseigneur,
et ils riaient quand il faisait des contes. Madame la baronne, qui pesait
environ trois cent cinquante livres, s'attirait par là une très grande
considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui
la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de
dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. Le
fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur
Pangloss était l'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses
leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère. Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie.
Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que,
dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron
était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes
possibles. « Il est démontré,
disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant
fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin.
Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi
avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être
chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées
pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a
un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le
mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous
mangeons du porc toute l'année : par conséquent, ceux qui ont avancé
que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est
au mieux. » Candide écoutait
attentivement, et croyait innocemment ; car il trouvait Mlle Cunégonde
extrêmement belle, quoiqu'il ne prît jamais la hardiesse de le lui dire.
Il concluait qu'après le bonheur d'être né baron de
Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur était d'être Mlle Cunégonde
; le troisième, de la voir tous les jours ; et le quatrième,
d'entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et
par conséquent de toute la terre. […] |
Voltaire (1694-1778) XVIIIe siècle (18e s.)
Edition de Candide, Londres, 1759
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