Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre

1S3, 2018-2019

Séquence nº 4: Poésie et deuil, "Pauca meae"de Victor Hugo (Les Contemplations, livre IV, 1856)

 

Résumé court des lectures analytiques

et des documents complémentaires

 

La mort de sa fille, à vingt ans, dans une noyade lors d'une promenade en barque sur la Seine, plonge Victor Hugo dans un désarroi profond dont il ne sortira que par l'écriture poétique, avec Les Contemplations et notamment le livre IV dédié entièrement à Léopoldine. « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous », lance Victor Hugo dans sa préface au lecteur. Par quelles voies exprimer la voix d'une âme et partager en poésie douleur et désespoir pour les transformer en rythme et en beauté ?

 

Lectures analytiques

 

 

13 Préface des Contemplations, 1856

Cette préface a une double dimension: intelligible et sensible.

D'un côté c'est un texte argumentatif qui veut convaincre et présenter publiquement un projet poétique à un lecteur potentiel, avec toutes les marques du discours argumentatif.

Mais la préface a aussi une dimension lyrique, intime, personnelle, puisque Hugo parle à un lecteur ou à une lectrice d'une expérience douloureuse d'un père qui a perdu sa fille; comme on parlerait à un(e) ami(e): les marques lyriques et personnelles sont également présentes dans le texte de la préface. Au-delà de la raison, on y lit la fougue, la passion, la tristesse.

En quelque sorte pour Victor Hugo, comme pour tout poète romantique et lyrique, la douleur n'a de sens que si elle est partagée et transformée en poésie selon le rite d'Orphée et par le travail du deuil. D'où les deux axes ci-dessus: I. Moi, Victor Hugo, je publie au public et j'argumente. II. Mais je le fais en exprimant en poésie tout ce que j'ai sur le coeur, dans mon "eau profonde et triste". Certes, ma douleur est individuelle. Mais toi, lectrice, lecteur, frère ou soeur, tu peux la comprendre. Car ne me ressembles-tu pas? "Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi !" (Gérard de Nerval, contemporain de Hugo, écrit fort bien ceci: "La vie d'un poète est celle de tous.")

Enfin, puisque les élèves de 1S3 n'ont pas lu les Contemplations en entier (ni aucun élève de France), on peut expliquer cette préface en mettant en lien certains passages du texte avec les poèmes de Pauca meae que nous avons étudiés en détails, ou lus rapidement, qui sont en écho. C'est le dernier intérêt de cette préface: elle nous donne des clés de lecture pour certains poèmes que nous pouvons aimer personnellement.

 


14 V "Elle avait pris ce pli..."
L'Italien Leon Battista Alberti écrit en 1435, dans De Pictura, que le portrait rend "présents ceux qui sont absents"... ou morts. La lecture du poème de Victor Hugo donne à penser que la littérature joue elle aussi ce rôle de mémoire et de renaissance paradoxale, ici à travers un récit empreint de nostalgie et de laudatio temporis acti (en latin "éloge des temps passés"). Voici deux clés pour interpréter le poème V de Pauca meae.
C'est d'abord un portrait littéraire de Léopoldine enfant, qu'on pourra mettre en parallèle avec celui peint par Auguste Châtillon vers 1835 (document complémentaire). Ce portrait possède trois caractéristiques qu'il faudrait analyser en détails: portrait idéalisé où domine l'image de l'ange, portrait intime et familier de Léopoldine saisi dans un cadre chaleureux, heureux, quotidien, enfin portrait en mouvement grâce au récit dominé par les verbes et l'image de l'oiseau.
Une autre clé pour ouvrir le poème est de le lire comme un poème élégiaque et d'insister sur la dimension triste du texte, marqué par la chute des quatre derniers vers, par le thème du temps qui passe (tempus fugit), les nombreux signes de l'écriture lyrique, l'utilisation des temps du passé.

15 XII "A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt"
Le titre du XII poème de Pauca meae évoque une méditation sur le sens de la vie et de la mort. Plusieurs clés peuvent ouvrir le texte.
D'abord ces deux cavaliers dans la forêt traversent un lieu ténébreux que nous considérons comme un topos romantique et germanique, lié à la mort, assez inquiétant; nous pensons au Roi des Aulnes de Goethe, avec le même thème de la chevauchée.
Ensuite on peut considérer ce texte comme la vision de deux cavaliers, saisie à travers de nombreuses figures d'opposition: Hermann et le Je lyrique, qui peut-être ne font qu'un (thème du double), avec, d'un côté, une manière cynique, matérialiste, ironique de voir le monde, la vie et la mort, irrespectueuse, irréligieuse, puis, d'un autre côté, une autre manière plus spirituelle, plus proche des ancêtres et des disparus... bref, une vision de poète.
Aussi bien le thème de la poésie et du rapport du poète aux êtres et aux choses, à la nature, est-il central: la chevauchée devient un dialogue entre celui qui traverse et qui parle aux choses qui lui parlent et l'écoutent (mythe d'Orphée).

16 XIV "Demain, dès l'aube..."
Nous avons trouvé de nombreuses clés de lecture en classe pour explorer ce célèbre poème des Contemplations et qui constitue lui-même une célébration. En voici deux, essentielles. D'abord c'est un double voyage, extérieur (déplacement physique exprimé par les verbes et le rythme des vers dans un cadre spatial et temporel à analyser en détails), mais aussi intérieur (dans l'espace mental du poète endeuillé, dans une plongée verticale, profonde), et qui devient un véritable pélerinage sur la tombe de Léopoldine, à qui une offrande végétale est versée. Ensuite c'est le modèle parfait d'un poème lyrique, élégiaque et orphique, puisqu'il exprime le deuil et la douleur mais transforme paradoxalement la mort en beauté et en poème, pour laisser une trace.

Documents complémentaires

Texte - Victor Hugo, lettre d’Étampes à Léopoldine, 22 août 1834

On insistera sur le côté familier de cette lettre où transparaît l'image d'un père aimant (amour mis en exergue par le fait qu'il est associé à l'amour pour des enfants pauvres et inconnus), et sur le côté poignant de la fin du texte, puisque c'est Hugo qui a survécu à Léopoldine, emportée dans une noyade.

Image - Auguste de Châtillon, « Léopoldine au Livre d'Heures », peinture, vers 1835. J'ai rédigé une explication très détaillée ici. En résumé, le plus important: ce tableau de Léopoldine met en valeur la force mémorielle de l'oeuvre d'art et exprime de manière poignante la beauté éphémère de la vie.  Léopoldine semble surgir comme une apparition, en se retournant vers nous qui regardons le tableau.

Image - Auguste Rodin, "Orphée et Eurydice", marbre, 1892-1893. Pour vous aider j'ai donné dans le descriptif, page 37, une analyse du marbre par le Musée Rodin, avec un rappel du mythe d'Orphée et Euydice (ci-dessous).

 

Texte - Musée Rodin, analyse du marbre "Orphée et Eurydice"

 


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