Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre 1S3, 2018-2019 Séquence nº 3: Une tragi-comédie de Molière, Dom Juan ou les Festin de pierre, 1665
Résumé court des lectures analytiques et des documents complémentaires
En faisant jouer Dom Juan à Paris en 1665, Molière reprend le mythe du séducteur déjà illustré avant lui mais dans une pièce à machines où l'action est éclatée dans une multiplication de lieux et de décors. Comment le dramaturge réussit-il à rénover le théâtre classique en représentant sur scène un héros libertin, ambigu, dans une esthétique baroque combinant les éléments comiques et tragiques ?
Lectures analytiques 9 Acte I, scène première (exposition, extrait) Cet extrait de la scène d'exposition de Dom Juan peut être lue de plusieurs manières. 1. Comme un exemple de scène d'exposition traditionnelle dans laquelle, par la double énonciation, les domestiques Sganarelle (valet de Don Juan) et Gusman (serviteur de done Elvire, épouse de Don Juan) informent le spectateur, dans un début in media res, sur le cadre spatio-temporel, les personnages, l'action. Le fait que les deux personnages sont des gens du peuple, place la pièce dans le registre de la comédie (avec des ragots de concierges), en même temps que les menaces que laisse planer Sganarelle sur la suite funeste possible pour son maître ("il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour"), relèvent du tragique (opposition de registres propre à l'esthétique baroque). 2. Une autre clé pour comprendre cette scène: c'est le portrait in absentia de Don Juan par son valet (métaphore filée de la peinture au pinceau), portrait négatif et complice puisque Sganarelle est fourbe et hypocrite lui-même, comme le double de son maître. Ce portrait est d'autant plus fort que Don Juan n'apparaîtra qu'à la scène suivante (comme Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme). Cette scène crée donc un effet d'attente, de suspens: qui est Don Juan? Il faut relever son caractère vu à travers Sganarelle: coureur, irréligieux, hypocrite, sans parole, "le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté", "grand seigneur méchant homme", en somme: le diable ou le monstre. 10 Acte III, scène 2 (scène du pauvre) L'intérêt de cette scène est qu'elle montre deux personnages opposés: un vieil homme mendiant (qui reprend l'image du guide et du prudhomme des romans de chevalerie du Moyen Age), pieux, humble, fidèle à sa religion, pathétique pour le spectateur, avec devant lui un Don Juan railleur, ironique, diabolique, tentateur, impie, qui utilise avec supériorité et le sarcasme pour rabaisser le bonhomme. Il faut analyser ces deux caractères contrastés, en explicitant les gestes, attitudes et effets de voix de Don Juan (en l'absence de didascalies), et préciser que de nouveau Sganarelle avec hypocrisie prend le parti de son diable de maître. On pourra mettre cette scène en perspective par rapport à la séquence 1 sur la misère et par rapport à la définition donnée du libertin en texte complémentaire, dont une composante est "un sceptique et un athée". 11 Acte IV, scène 3 (scène de Monsieur Dimanche) Au théâtre, dès les farces du Moyen Âge, le thème de l'emprunteur qui rechigne à rembourser sa dette, est un ressort de la comédie, repris ici par Molière dans la tragi-comédie Dom Juan. L'abuseur de Séville est ici dans son rôle: il éconduit le bon bourgeois et père de famille Dimanche, venu réclamer son dû, comme un fin stratège, un manipulateur, un hâbleur, un vendeur de boniments. Par quels moyens Molière nous fait-il rire ou sourire dans cette scène? On pourra analyser ce passage de Don Juam en montrant la variété des formes (comique de mots, de geste, de situation, de caractère, comique sociétal), en insistant sur 3 points: l'aristocrate Don Juan, dans un jeu d'esquive, se comporte finalement comme un valet coquin digne des Fourberies de Scapin, mais avec l'élégance du verbe, à l'instar de Sgnarelle qui le singe en fin de scène (comique de situation); Molière révèle son génie comique en exploitant les actes de parole les plus quotidiens comme le feront au XIXe siècle le drame bourgeois et le vaudeville, notamment par le procédé des variations thématiques et de la digression; du point de vue sociétal, Don Juan se moque, par son esprit caustique et ironique, de toutes les valeurs bourgeoises et familiales qui sont celles de M. Dimanche (femme, enfants...). Décidément aucune institution n'échappe au perfide Don Juan: après le mariage (texte 9), le peuple désemparé (texte 10), c'est la famille qui est moquée dans une satire féroce. 12 Acte V, scènes 5 et 6 (dénouement) Une tragédie devrait, pour purifier le public, montrer ou suggérer le châtiment d'un personnage comme Don Juan, qui a enfreint les règles de l'humanité en se montrant infidèle à Done Elvire, en tuant un religieux, en ne respectant pas son père, en manquant à sa parole, en ne secourant pas les pauvres, etc. Il y aurait alors catharsis, et, respectant la règle du théâtre classique de transmettre une morale mais de manière plaisante comme La Fontaine ou La Bruyère, le spectateur prendrait conscience des aléas où est entraîné tout personnage monstrueux. Or, dans une première version de Dom Juan, avant la censure des religieux, ce n'est pas le message qu'a voulu transmettre Molière, puisque ces deux dernières scènes perdent leur valeur morale, Don Juan, par un jeu de machines et par l'ilusion théâtrale baroque, n'est pas dévoré par les flammes de l'enfer; Sgnanarelle, par la réplique prosaïque et bassement matérielle "Mes gages! mes gages!" transforme la tragédie en comédie. C'est ce fil conducteur qu'il faudrait tisser à l'oral du bac, avec plusieurs clés d'entrée trouvées en classe: 1. Un dénouement exprimant l'effroi suggéré par les éléments baroques que sont les spectres et fantômes, par l'envoûtement de Don Juan montré en état de transe, par toutes les représentations allégoriques de sa mauvaise conscience (le spectre de Done Elvire, son infidélité, la statue du commandeur, l'homicide qu'i a commis), par les champs lexicaux, la ponctuation, les didascalies, les jeux de lumière et sonores). 2. Un dénouement exprimant en même temps le contrôle permanent que Don Juan exerce sur lui-même comme homme rationnel, courageux devant la mort, impavide, téméraire, maître de son destin. 3. Un dénouement ambigü, puisque le superstitieux Sganarelle conclut la pièce par une chute faisant revenir le spectateur dans le monde du tangible, du palpable (l'immanence), et non plus de l'invisible, du sacré (la transcendance), immanence signifiée par l'argent. C'est pour Molière, à travers les dernières paroles de Sganarelle, dans la version non censurée, l'occasion de résumer la pièce (une micro-pièce dans la pièce), et, en même temps, de relativer la gravité du sujet. Documents complémentaires Texte - Sganarelle, un personnage de la Commedia dell'Arte revu par Molière, texte sur le site www.don-juan.net A retenir: Sgnanarelle est l'un des éléments du couple maître-valet. Il représente le peuple, l'espièglerie, la fourberie et la superstition. Il est par rapport à Don Juan son miroir et son juge. Image - Les personnages de la Commedia dell’Arte italienne, illustrations sur le site de l'université de Genève http://tecfa.unige.ch Ce sont les personnages que Jean-Baptiste Poquelin aime voir jouer dans le théâtre de rue qu'est le Paris de son enfance, en compagnie de son grand-père maternel. Il s'en inspire dans la première partie de sa vie théâtrale, la période du théâtre du pauvre, avant la gloire sous Louis XIV à la cour dans la compagnie du Roi. Dans Dom Juan, le valet Sganarelle est une réminiscence de ce théâtre italien. Texte - Jean de La Fontaine (1621-1695), « Le Corbeau et le Renard », Fables, livre I, 2, 1668, en intertextualité avec Don Juan et Monsieur Dimanche (IV, 3) Le Renard représente fort bien Don Juan en train de complimenter hypocritement Monsieur Dimanche, non pas pour lui voler un fromage mais pour le chasser de chez lui sans lui rembourser sa dette. Texte - « Qu'est-ce que le libertinage ? », texte sur le site www.don-juan.net En bref, le libertinage comprend 3 composantes: liberté de moeurs (amour), liberté de ne pas croire en Dieu (religion), liberté de ne se soumettre à aucune autorité (famille, pouvoir...). Texte - Henri Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique, 1899: le diable à ressort, en intertextualité avec la scène de Monsieur Dimanche (IV, 3) L'effet de répétition, décelable dans le texte 11, est fort bien analysé par Bergson. |
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