Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre

1S3 (2018-2019)

Séquence nº 2: Françoise et Dominique, deux personnages, une histoire d'amour et de mort :

« L'Attaque du Moulin » d'Emile Zola (1880)

Lecture analytique nº 2, chapitre 1, extrait, présentation des personnages protagonistes

 

                                     I

[...] Depuis vingt ans, le père Merlier était maire de Rocreuse. on l'estimait pour la fortune qu'il avait su faire. on lui donnait quelque chose comme quatre-vingt mille francs, amassés sou à sou. Quand il avait épousé Madeleine Guillard, qui lui apportait en dot le moulin, il ne possédait guère que ses deux bras. Mais Madeleine ne s'était jamais repentie de son choix, tant il avait su mener gaillardement les affaires du ménage. Aujourd'hui, la femme était défunte, il restait veuf avec sa fille Françoise. Sans doute, il aurait pu se reposer, laisser la roue du moulin dormir dans la mousse ; mais il se serait trop ennuyé, et la maison lui aurait semblé morte. Il travaillait toujours, pour le plaisir. Le père Merlier était alors un grand vieillard, à longue figure silencieuse, qui ne riait jamais, mais qui était tout de même très gai en dedans. On l'avait choisi pour maire, à cause de son argent, et aussi pour le bel air qu'il savait prendre, lorsqu'il faisait un mariage.

Françoise Merlier venait d'avoir dix-huit ans. Elle ne passait pas pour une des belles filles du pays, parce qu'elle était chétive. Jusqu'à quinze ans, elle avait même été laide. on ne pouvait pas comprendre, à Rocreuse, comment la fille du père et de la mère Merlier, tous deux si bien plantés, poussait mal et d'un air de regret. Mais à quinze ans, tout en restant délicate, elle prit une petite figure, la plus jolie du monde. Elle avait des cheveux noirs, des yeux noirs, et elle était toute rose avec ça ; une bouche qui riait toujours, des trous dans les joues, un front clair où il y avait comme une couronne de soleil. Quoique chétive pour le pays, elle n'était pas maigre, loin de là ; on voulait dire simplement qu'elle n'aurait pas pu lever un sac de blé ; mais elle devenait toute potelée avec l'âge, elle devait finir par être ronde et friande comme une caille. Seulement, les longs silences de son père l'avaient rendue raisonnable très jeune. Si elle riait toujours, c'était pour faire plaisir aux autres. Au fond, elle était sérieuse.

Naturellement, tout le pays la courtisait, plus encore pour ses écus que pour sa gentillesse. Et elle avait fini par faire un choix, qui venait de scandaliser la contrée. De l'autre côté de la Morelle, vivait un grand garçon, que l'on nommait Dominique Penquer. Il n'était pas de Rocreuse. Dix ans auparavant, il était arrivé de Belgique, pour hériter d'un oncle, qui possédait un petit bien, sur la lisière même de la forêt de Gagny, juste en face du moulin, à quelques portées de fusil. Il venait pour vendre ce bien, disait-il, et retourner chez lui. Mais le pays le charma, paraît-il, car il n'en bougea plus. on le vit cultiver son bout de champ, récolter quelques légumes dont il vivait. Il pêchait, il chassait; plusieurs fois, les gardes faillirent le prendre et lui dresser des procès-verbaux. Cette existence libre, dont les paysans ne s'expliquaient pas bien les ressources, avait fini par lui donner un mauvais renom. on le traitait vaguement de braconnier. En tout cas, il était paresseux, car on le trouvait souvent endormi dans l'herbe, à des heures où il aurait dû travailler. La masure qu'il habitait, sous les derniers arbres de la forêt, ne semblait pas non plus la demeure d'un honnête garçon. Il aurait eu un commerce avec les loups des ruines de Gagny, que cela n'aurait point surpris les vieilles femmes.

Pourtant, les jeunes filles, parfois, se hasardaient à le défendre, car il était superbe, cet homme louche, souple et grand comme un peuplier, très blanc de peau, avec une barbe et des cheveux blonds qui semblaient de l'or au soleil. Or, un beau matin, Françoise avait déclaré au père Merlier qu'elle aimait Dominique et que jamais elle ne consentirait à épouser un autre garçon. […]

Lecture analytique

L'essentiel à retenir du cours

Dans la veine réaliste (avec très peu d'éléments sensibles), Zola brosse ici le portrait du père Merlier et de sa femme, ainsi que de Françoise et de Dominique, les deux protagonistes de la nouvelle.

A un premier niveau de difficulté, je vous conseille de dégager en les classant les différents éléments des portraits, à l'aide de la carte mentale de la caractérisation du personnage de roman. En bref: le père Merlier est un vieux veuf aisé qui s'est accompli par le travail, Françoise une jeune fille chétive et laide mais sérieuse et excitant les convoitises, Dominique un étranger beau et séduisant, mal accepté et autour duquel plane une réputation sulfureuse d'homme des bois.

Dans une deuxième approche, plus subtile, je vous suggère de mettre en évidence l'ordre objectif et contrôlé de la description, le regard extérieur du narrateur omniscient qui connaît tous des personnages, mais qui,en même temps, les caractérise du point de vue des villageois et des "ruraux" de Rocreuse: il est important de mettre en valeur l'importance du paraître, de l'avoir sur l'être, de l'argent, des origines, mais aussi du qu'en dira-t-on et de la superstition

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Emile Zola (1840-1902)

XIXe siècle (19e s.)