Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre 1S3 (2018-2019) Séquence nº 2: Françoise et Dominique, deux personnages, une histoire d'amour et de mort : « L'Attaque du Moulin » d'Emile Zola (1880) Lecture analytique nº 1, chapitre 1, incipit, extrait
I Le moulin du père Merlier, par cette belle soirée d'été, était en grande fête. Dans la cour, on avait mis trois tables, placées bout à bout, et qui attendaient les convives. Tout le pays savait qu'on devait fiancer, ce jour-là, la fille Merlier, Françoise, avec Dominique, un garçon qu'on accusait de fainéantise, mais que les femmes, à trois lieues à la ronde, regardaient avec des yeux luisants, tant il avait bon air. Ce moulin du père Merlier était une vraie gaieté. Il se trouvait juste au milieu de Rocreuse, à l'endroit où la grand-route fait un coude. Le village n'a qu'une rue, deux files de masures, une file à chaque bord de la route ; mais là, au coude, des prés s'élargissent, de grands arbres, qui suivent le cours de la Morelle, couvrent le fond de la vallée d'ombrages magnifiques. Il n'y a pas, dans toute la Lorraine, un coin de nature plus adorable. A droite et à gauche, des bois épais, des futaies séculaires montent des pentes douces, emplissent l'horizon d'une mer de verdure ; tandis que, vers le midi, la plaine s'étend, d'une fertilité merveilleuse, déroulant à l'infini des pièces de terre coupées de haies vives. Mais ce qui fait surtout le charme de Rocreuse, c'est la fraîcheur de ce trou de verdure, aux journées les plus chaudes de juillet et d'août. La Morelle descend des bois de Gagny, et il semble qu'elle prenne le froid des feuillages sous lesquels elle coule pendant des lieues ; elle apporte les bruits murmurants, l'ombre glacée et recueillie des forêts. Et elle n'est point la seule fraîcheur: toutes sortes d'eaux courantes chantent sous les bois; à chaque pas, des sources jaillissent; on sent, lorsqu'on suit les étroits sentiers, comme des lacs souterrains qui percent sous la mousse et profitent des moindres fentes, au pied des arbres, entre les roches, pour s'épancher en fontaines cristallines. Les voix chuchotantes de ces ruisseaux s'élèvent si nombreuses et si hautes, qu'elles couvrent le chant des bouvreuils. On se croirait dans quelque parc enchanté, avec des cascades tombant de toutes parts. En bas, les prairies sont trempées. Des marronniers gigantesques font des ombres noires. Au bord des prés, de longs rideaux de peupliers alignent leurs tentures bruissantes. Il y a deux avenues d'énormes platanes qui montent, à travers champs, vers l'ancien château de Gagny, aujourd'hui en ruines. Dans cette terre continuellement arrosée, les herbes grandissent démesurément. C'est comme un fond de parterre entre les deux coteaux boisés, mais de parterre naturel, dont les prairies sont les pelouses, et dont les arbres géants dessinent les colossales corbeilles. […] Lecture analytique L'essentiel à retenir du cours Un incipit de récit présente traditionnellement le cadre spatio temporel de l'histoire et ses personnages, fixe le genre, crée le suspens, donne envie au lecteur de connaître la suite. Plus original ici, Zola débute sa nouvelle par la description à la fois réaliste et sensible de Rocreuse et de sa vallée, comme un "trou de verdure". Le texte est marqué à la fois, comme souvent chez Zola, par l'ordre et le détail, notamment grâce aux précisions sur les lieux, et par l'aspect sensible grâce aux sens de celui qui perçoit une nature complètement personnifiée, métamorphosée par enchantement, paisible, harmonieuse, paradisiaque, fertile. Aussi cet incipit est-il en parfait contre-point avec l'excipit de L'Attaque du Moulin, marqué par le feu et l'enfer. |
Emile Zola (1840-1902) XIXe siècle (19e s.)
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