Lycée
Joliot Curie 92000 Nanterre
1S3 (2018-2019)
Séquence
nº 4: Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, 1665
Lecture
analytique nº 2, acte III, scène 2 (scène du pauvre)
DOM
JUAN, SGANARELLE, UN PAUVRE
SGANARELLE.- Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.
LE PAUVRE.- Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et
détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt. Mais
je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que
depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour. DOM JUAN.- Je
te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon coeur.
LE PAUVRE.- Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône.
DOM JUAN.- Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois. LE
PAUVRE.- Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce
bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il
vous donne toute sorte de biens. DOM JUAN.- Eh, prie-le qu'il te
donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.
SGANARELLE.- Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit
qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit.
DOM JUAN.- Quelle est ton occupation parmi ces arbres ? LE PAUVRE.-
De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui
me donnent quelque chose. DOM JUAN.- Il ne se peut donc pas que
tu ne sois bien à ton aise. LE PAUVRE.- Hélas, Monsieur, je suis
dans la plus grande nécessité du monde. DOM JUAN.- Tu te moques; un
homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d'être bien
dans ses affaires. LE PAUVRE.- Je vous assure, Monsieur, que le
plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les
dents. DOM JUAN.- Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu
de tes soins; ah, ah, je m'en vais te donner un Louis d'or tout à
l'heure, pourvu que tu veuilles jurer. LE PAUVRE.- Ah, Monsieur,
voudriez-vous que je commisse un tel péché ? DOM JUAN.- Tu n'as
qu'à voir si tu veux gagner un Louis d'or ou non, en voici un que je
te donne si tu jures, tiens il faut jurer. LE PAUVRE.- Monsieur.
SGANARELLE.- Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal. DOM JUAN.-
Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc. LE PAUVRE.- Non
Monsieur, j'aime mieux mourir de faim. DOM JUAN.- Va, va, je te le
donne pour l'amour de l'humanité, mais que vois-je là ? Un homme
attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois
pas souffrir cette lâcheté.
(Il court
au lieu du combat.)
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Molière
(1622-1673)
XVIIe
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