Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre 1S3 (2018-2019) Séquence nº 1: le discours contre la pauvreté de la Renaissance à nos jours Lecture analytique nº 1 Jean de La Fontaine, “La Mort et le Bûcheron”, Fables, I, 16, 1668 La Mort et le Bûcheron
L'essentiel à retenir Cette fable en vers dénonce la misère à travers la fiction d'un court récit. Il s'agit donc d'argumentation indirecte sous la forme d'un apologue, même si la morale à la fin révèle l'intrusion de l'auteur et ressort de l'argumentation directe. Le sujet est simple: un vieux bûcheron prend conscience qu'il ne peut plus vivre de son travail; incapable de porter son fardeau, il en devient un pour les autres. Il parle seul à la mort (allégorie du titre), qui ne lui répond pas mais agit. La lecture permet de dégager 3 mouvements. d‘abord, aux vers 1-6, un récit descriptif de rythme lent, en alexandrins, plante un bûcheron malheureux, vieux et épuisé. Suit un autre mouvement (7-16) marqué par la variété des mètres syllabiques (alexandrins et octosyllabes) et la diversité du discours (indirect, indirect libre, direct). Ce qu’expriment le chiasme puis l’énumération des vers 9 à 11, c’est la pauvreté économique du bûcheron présenté comme l'incarnation (emblématisée par la majucule dans le titre) de la misère absolue (12). Cette-ci est montrée dans le monde réel et matériel (métaphore "machine ronde", 8, périphrase "où nous sommes", 18), et relève du délire quasi schizophrénique puisque le bûcheron se parle à lui même. Un dernier mouvement (17-18) constitue une chute et conclut sur la morale de l'apologue. Du point de vue argumentatif, l'objectif de la fable n'est pas de convaincre mais de suggérer. Le fabuliste montre la misère physique et morale du bûcheron, il en évoque précisément les causes par le discours rapporté du bûcheron (charges familiales, dettes, travaux non payés, impôts, rapine de l’armée), mais n’exprime explicitement aucun signe de révolte ou de critique du système qui engendre la pauvreté. Le pathétique et le didactique sont à peine marqués, aucune allusion n’est faite à un possible salut par la foi ou par l’espérance. C’est bien là tout l’art subtil de cet apologue qui interpelle le lecteur et le fait juge. La moralité des vers 19 et 20 va dans le sens d’un constat du même renoncement conservateur à la révolte et à l'insoumission : mieux vaut la pauvreté et la souffrance que la mort. Mais quel avis exprime-t-elle? - celui du bûcheron, celui du fabuliste, celui des „hommes”? Ce qui nous interpelle et ne nous laisse pas indifférents dans cette
fable de La Fontaine, c’est sa lapidarité et sa concision classiques.
La force de l’apologue est liée à un récit en mouvement et faisant sens,
mais en même temps le texte est ambigü: sans engagement ni solidarité, mais sans
indifférence non plus... lucide en somme. Pistes
de réflexion dans le cadre de la discussion Dans le contexte politique de 1668, La Fontaine peut-il faire autrement qu’utiliser l’apologue pour parler de la misère? Connais-tu d’autres fables de La Fontaine évoquant une situation de pauvreté? Quel est le statut social de La Fontaine et son rapport au pouvoir qui permettraient d’expliquer l’ambiguïté de la morale? |
Jean de La Fontaine (1621-1695) XVIIe siècle (17e s.)
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