Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre

EAF 2016

1ST2S2

Séquence nº 2: le héros de roman et son mentor

 

Devoir surveillé

Conception: M. Wattremez

 

Question sur corpus nº 2 -sujet

 

Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante de façon organisée et synthétique.

Dans le texte D, comment la relation du mentor et du disciple est-elle complètement inversée?

Corpus : 
Texte A : Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699

Texte B : Voltaire, Candide, 1759
Texte C : Balzac, Le Père Goriot, 1835
Texte D : Raymond Queneau, Zazie dans le métro, 1959

 

Texte A

(Contexte: Télémaque, fils d'Ulysse, raconte les  aventures de son voyage en compagnie de son conseiller Mentor, qui est en réalité la déesse Athéna elle-même.)

 

            Télémaque reprit ainsi:

            "Nous eûmes assez longtemps un vent favorable pour aller en Sicile; mais ensuite une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés dans une profonde nuit. A la lueur des éclairs, nous aperçûmes d'autres vaisseaux exposés au même péril, et nous reconnûmes bientôt que c'étaient les vaisseaux d'Enée: ils n'étaient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l'ardeur d'une jeunesse imprudente m'avait empêché de considérer attentivement. Mentor parut dans ce danger, non seulement ferme et intrépide, mais encore plus gai qu'à l'ordinaire: c'était lui qui m'encourageait; je sentais qu'il m'inspirait une force invincible. Il donnait tranquillement tous les ordres, pendant que le pilote était troublé. Je lui disais: "Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils? Ne suis-je pas malheureux d'avoir voulu me croire moi-même, dans un âge où l'on n'a ni prévoyance de l'avenir, ni expérience du passé, ni modération pour ménager le présent? Ô si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai de moi-même comme de mon plus dangereux ennemi: c'est vous, Mentor, que je croirai toujours." 

            Mentor, en souriant, me répondit: "Je n'ai garde de vous reprocher la faute que vous avez faite; il suffit que vous la sentiez et qu'elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs. Mais, quand le péril sera passé, la présomption reviendra peut-être. Maintenant il faut se soutenir par le courage. Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre; mais, quand on y est, il ne reste plus qu'à le mépriser. Soyez donc le digne fils d'Ulysse; montrez un coeur plus grand que tous les maux qui vous menacent."

 

Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre premier

Texte B

            Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s'être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l'honneur de souper. -- Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin Églon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baaza ; le roi Éla, par Zambri ; Ochosias, par Jéhu ; Athalia, par Joïada ; les rois Joachim, Jéchonias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d'Angleterre, Édouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l'empereur Henri IV ? Vous savez... -- Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin. -- Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l'homme fut mis dans le jardin d'Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu'il travaillât, ce qui prouve que l'homme n'est pas né pour le repos. -- Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c'est le seul moyen de rendre la vie supportable. »
            Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'Inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. -- Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »

Voltaire, Candide,  chapitre 30 et dernier

 

Texte C

(Contexte: Vautrin, un ancien malfaiteur, donne des conseils à Eugène de Rastignac, un jeune provincial venu à Paris pour réussir. Dans le passage ci-dessous il s'adresse directement au jeune homme.)

 

Voilà le carrefour de la vie, jeune homme, choisissez. Vous avez déjà choisi : vous êtes allé chez notre cousine de Bauséant, et vous y avez flairé le luxe. Vous êtes allé chez madame de Restaud, la fille du père Goriot, et vous y avez flairé la Parisienne. Ce jour-là vous êtes revenu avec un mot écrit sur votre front, et que j'ai bien su lire Parvenir ! Parvenir à tout prix. Bravo ! ai-je dit, voilà un gaillard qui me va. Il vous a fallu de l'argent. Où en prendre ? Vous avez saigné vos sœurs. Tous les frères flouent plus ou moins leurs sœurs. Vos quinze cents francs arrachés, Dieu sait comme ! Dans un pays où l'on trouve plus de châtaignes que de pièces de cent sous, vont filer comme des soldats à la maraude. Après, que ferez-vous ? Vous travaillerez? Le travail, compris comme vous le comprenez en ce moment, donne, dans les vieux jours, un appartement chez maman Vauquer, à des gars de la force de Poiret. Une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent tous dans votre position. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des efforts que vous avez à faire et de l'acharnement du combat. Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot, attendu qu'il n'y a pas cinquante mille bonnes places. Savez-vous comment on fait son chemin ici ? Par l'éclat du génie ou par l'adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse d'hommes comme un boulet de canon, ou s'y glisser comme une peste. L'honnêteté ne sert à rien.

 

Honoré de Balzac, Le Père Goriot

 

Texte D  

(Zazie est une petite fille provinciale très curieuse qui vient à Paris pour découvrir le métro. Son oncle Gabriel essaie de faire son éducation.)

 

– Tonton Gabriel, dit Zazie paisiblement, tu m'as pas encore espliqué si tu étais un hormosessuel ou pas, primo, et deuzio où t'avais été pêcher toutes les belles choses en langue forestière que tu dégoisais tout à l'heure? Réponds.

– T'en as dla suite dans les idées pour une mouflette, observa Gabriel languissamment.

– Réponds donc, et elle lui foutit un bon coup de pied sur la cheville.

Gabriel se mit à sauter à cloche-pied en faisant des simagrées.

– Houille, qu'il disait, houïe là là aouïe.

– Réponds, dit Zazie.

Une bourgeoise qui maraudait dans le coin s'approcha de l'enfant pour lui dire ces mots:

– Mais, voyons, ma petite chérie, tu lui fais du mal à ce pauvre meussieu. Il ne faut pas brutaliser comme ça les grandes personnes.

– Grandes personnes mon cul, répliqua Zazie. Il veut pas répondre à mes questions.

– Ce n'est pas une raison valable. La violence, ma petite chérie, doit toujours être évitée dans les rapports humains. Elle est éminemment condamnable.

– Condamnable mon cul, répliqua Zazie, je ne vous demande pas l'heure qu'il est.

– Seize heures quinze, dit la bourgeoise.

– Vous n'allez pas laisser cette petite tranquille, dit Gabriel qui s'était assis sur un banc.

– Vous m'avez encore l'air d'être un drôle d'éducateur, vous, dit la dame.

– Éducateur mon cul, tel fut le commentaire de Zazie.

– La preuve, vous n'avez qu'à l'écouter parler (geste), elle est d'une grossièreté, dit la dame en manifestant tous les signes d'un vif dégoût.

– Occupez-vous de vos fesses à la fin, dit Gabriel. Moi j'ai mes idées sur l'éducation.

– Lesquelles? demanda la dame en posant les siennes sur le banc à côté de Gabriel.

– D'abord, primo, la compréhension.

Zazie s'assit de l'autre côté de Gabriel et le pinça rien qu'un petit peu.

– Et ma question à moi? demanda-t-elle mignardement. On y répond pas?

– Je peux tout de même pas la jeter dans la Seine, murmura Gabriel en se frottant la cuisse.

– Soyez compréhensif, dit la bourgeoise avec son plus charmant sourire.

Zazie se pencha pour lui dire:

– Vous avez fini de lui faire du plat à mon tonton? Vous savez qu'il est marié.

– Mademoiselle, vos insinuations ne sont pas de celles que l'on subtruque à une dame dans l'état de veuvage.

– Si je pouvais me tirer, murmura Gabriel.

– Tu répondras avant, dit Zazie.

Gabriel regardait le bleu du ciel en mimant le désintérêt le plus total.

– Il n'a pas l'air de vouloir, remarqua la dame veuve objectivement.

– Faudra bien.

 

Raymond Queneau, Zazie dans le métro, Folio, Gallimard, p. 125-127

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