Bibliographie critique et analytique

Nous donnons ici en annexe un ensemble d’ouvrages fondamentaux, et qui ont nourri notre réflexion au cours de l’élaboration de la thèse. Chaque document, consultable à la Bibliothèque de l’Académie roumaine de Bucarest, est repéré puis analysé, et accompagné, quand c’est possible, d’un point de vue critique. On trouvera plus haut un ensemble exhaustif des sources consultées.

¨ CANTACUZINO Ion I., «Ionel Teodoreanu», România literară, I, 1932(2-9).

Dans cette série de 8 articles parue en 1932 dans România literară de Liviu Rebreanu, Ion I. Cantacuzino établit le plus important bilan critique jamais consacré à l’œuvre romanesque de Ionel Teodoreanu. Il s’agit pour lui d’étudier le «cas» Ionel Teodoreanu et d’offrir au public et à la critique désorientés «un ensemble de critères pour l’établissement d’un jugement de valeur sur notre littérature d’aujourd’hui». Cantacuzino fait montre d’objectivité, mais on sent transparaître une certaine hostilité envers Teodoreanu, qui se manifeste dans une série de critiques souvent violentes. Trois reproches sont adressés à l’auteur de La Medeleni.

D’abord, le reproche de facticité. Le cadre romanesque de Teodoreanu est mondain, superficiel et racolleur, peuplé des mêmes types limités de personnages toujours exceptionnellement beaux, intelligents. Une conception dualiste se fait jour, d’un monde déchiré entre la réalité et l’apparence, d’un pirandellisme dilué dans le livresque et l’anecdotique, avec des personnages tellement englués dans leurs idéaux qu’ils n’aboutissent qu’aux capitulations et aux concessions.

Cantacuzino dénonce aussi le manque d’objectivité romanesque de notre écrivain, privé de «l’aptitude tempéramentale à créer des personnages différents de lui-même», et le caractère autobiographique outré de La Medeleni. Teodoreanu, incapable de s’abstraire à ses créatures, de se dégager de son propre lyrisme, sinon par l’ironie ou par le didactisme, se comporte dans le roman comme un deus ex machina. Cantacuzino admet la prégnance des personnages teodoreniens, mais refuse d’y voir une dimension romanesque: il la considère alors à la fois comme une prégnance de poète, caractérisée par l’intensité de la «ligne d’expression», avec des héros exceptionnels, aux traits outranciers, et comme une prégnance de dramaturge, par la mise en relief et la schématisation caricaturale des caractères.

Un troisième reproche concerne la technique romanesque proprement dite: l’absence du sens de l’équilibre chez Teodoreanu, qui le fait développer certaines scènes jusqu’à saturation; la tendance maniaque à la digression et l’incapacité à dominer un sujet, qui l’empêchent de réaliser le projet initial de La Medeleni _ celui d’une fresque sociale et d’un roman d’une génération - , et qui transforme le «roman de l’adolescence» que devait être Drumuri en «aphrodisiaque pour pensionnats»; le métaphorisme outrancier, enfin, qui vise, par un équivalent grammatical, à rendre perceptible la sensation, mais qui, employé «comme méthode d’expression analytique», creuse toujours plus le gouffre sans fond en accumulant à l’infini les comparaisons ineffables et redondantes.

Voilà huit textes fondamentaux par rapport à la problématique qui nous intéresse, une démonstration précise, raisonnée et argumentée, conduisant sans aucun doute à une remise en question totale de l’art romanesque de Teodoreanu, et fournissant, par conséquent, comme les thèses d’Eugen Lovinescu, la matière à de nombreux et nouveaux arguments de réplique.

¨ CĂLINESCU George, «Ionel Teodoreanu», Gândirea, VIII, 1928(1), pp. 32-35, rubrique «Idei, oameni şi fapte»; Istoria literaturii române de la origini până în prezent [Histoire de la littérature roumaine des origines jusqu’à présent], ed. Al. Piru, Bucarest: Minerva, 1982, p. 750-757.

George Călinescu reconnaît les qualités du romancier Teodoreanu, qui réalise avec Uliţa copilăriei et Hotarul nestatornic une «incursion profonde dans l’âme enfantine», mais lui reproche son verbalisme et sa pléthore métaphorique: «Il est ampoulé, truculent, pathétique, absurde, verbeux, métaphorique et pléthorique. Tout comme un train qui continue à glisser sur ses rails en vertu de la force d’inertie, après que les moteurs ont été coupés, l’écrivain voyage longtemps au-delà de l’idée, sur le vide des mots.» Călinescu pense même que «l’écrivain est incapable de narrer».

Quant aux personnages du roman, le critique les juge «superficiels et sans couleur locale comme les enseignes des compagnies de navigation», «cosmopolites»; Teodoreanu lui semble gratuitement «obsédé par les perspectives géographiques».

Certes, dans ces deux textes classiques et non privés de remarques et de traits pertinents, le grand historiographe roumain ne peut réfréner son admiration pour les figures et portraits féminins de Monica et d’Olguţa; son dialogue socratique et sa présentation d’ensemble du romancier Teodoreanu n’en restent pas moins partisans et partiellement injustes. La lecture de Călinescu escamote intégralement la modernité romanesque de La Medeleni.

¨ CIOBANU Nicolae, Ionel Teodoreanu, viaţa şi opera [Ionel Teodoreanu, la vie et l’œuvre], Bucarest: Minerva, 1970, 267 p., 24 planches hors-texte, bibliographie.

Cet ouvrage fondamental de la bibliographie teodorenienne est, dans sa première partie, une excellente biographie, précise, bien informée, étudiant les temps forts de la vie de Ionel Teodoreanu. Nicolae Ciobanu relève les nombreux éléments autobiographiques de l’œuvre, comme projection de la personnalité de l’écrivain dans la fiction romanesque; ainsi, selon le critique, Teodoreanu reprend dans La Medeleni beaucoup de membres de son entourage.

Dans la seconde partie, le chapitre intitulé «La trilogie de Medeleni» est moins bien une étude de l’art romanesque de notre auteur, qu’un essai de définition du medelenisme comme existentialisme, d’un point de vue esthétique et socio-idéologique: en ce sens, Nicolae Ciobanu dénonce dans la trilogie une tentative de mystifier le Temps et l’Histoire, à travers un genre idyllique propre non seulement à Teodoreanu mais aussi aux postjunimistes et aux semănătoristes. Cette critique marxiste paraît aujourd’hui bien dépassée, tout comme, dans un domaine plus technique, la thèse du caractère digressif et du dilettantisme de ce que nous considérons à notre époque comme l’un des premiers récits spéculaires roumains. En revanche, ce chapitre contient de bons passages sur la fusion des plans réel et mythique dans le roman, ainsi que de très fines remarques sur l’observation psychologique des personnages. Ciobanu insiste sur les particularités de notre roman: dimension narrative de l’œuvre, maîtrise de l’art du portrait, importance de la veine mémorialiste (poursuivie dans În casa bunicilor et surtout dans Masa umbrelor). Le critique reprend les remarques d’Eugen Lovinescu sur le «moldovénisme» de La Medeleni: comme chez Sadoveanu, Eminescu, Creangă et C. Negruzzi, il retrouve chez Teodoreanu le mélange de jubilation et de nostalgie du souvenir, et surtout la vénération pour le passé, les ancêtres, la tradition.

L’ouvrage de Nicolae Ciobanu se termine par une bonne étude générale mais peu approfondie de la métaphore teodorenienne («Incursions dans les structures du style medeleniste») et par une bibliographie assez détaillée jusqu’à 1968, mais incomparablement moins riche que celle de S. Tomuş.

Il s’agit néanmoins d’une monographie très utile et d’une indispensable synthèse sur Teodoreanu romancier.

¨ CIOBANU Nicolae, La Medeleni, in: Ionel Teodoreanu, Opere alese [Œuvres choisies], ed. N. Ciobanu, Bucarest: E. P. L., 1968, volume III, pp. 382-405.

Ces notes et commentaires à l’édition de La Medeleni éclairent particulièrement l’étude de l’avant-texte du roman de Teodoreanu. L’examen des différents manuscrits et des états de texte y est entrepris par Nicolae Ciobanu avec rigueur et précision. Néanmoins, l’accent est insuffisamment mis sur la signification des modifications et refontes du texte.

Il s’agit d’une bonne étude génétique, descriptive et complète, mais qui manque de dynamisme.

¨ CIOPRAGA Constantin, «Ionel Teodoreanu în retrospectivă, II, III» [Ionel Teodoreanu en rétrospective], Cronica, VII, 1972 (4-5), p.3.

D’un point de vue structural, C. Ciopraga voit dans La Medeleni un «roman de réalisme discontinu, de coupures lyriques, unique non seulement dans la littérature roumaine, mais aussi sur le plan européen». Il insiste sur la technique fragmentariste de l’œuvre, véritable «roman de dislocations psychologiques et sociales», et relève, dans Hotarul nestatornic, «les nombreuses scènes de genre, dans une succession d’ébauches comprenant de multiples études de portrait».

Cette courte étude d’un critique roumain contemporain qui a parfaitement saisi la portée de notre roman, est un texte cardinal et d’importance capitale par rapport au sujet qui nous intéresse ici.

¨ CONSTANTINESCU Pompiliu, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni _ Hotarul nestatornic», Sburătorul, IV, 1926(4), p. 51.

Dans cet article important, l’auteur étudie particulièrement le statisme et le dynamisme de l’œuvre qui nous intéresse. Selon lui, et malgré l’utilisation de techniques cinématographiques, l’art romanesque de Teodoreanu n’est pas assez au service d’une fuite insaisissable, celle de la jeunesse qui passe.

Constantinescu reproche à l’auteur de La Medeleni le manque de composition romanesque, la multiplication des situations non-caractéristiques, l’insuffisance des moyens psychologiques et surtout le verbalisme lyrique et l’abus de scènes sensuelles dans Drumuri. À propos de Între vânturi, il dénonce l’inaptitude congénitale de l’auteur à l’analyse et juge les personnages vides de contenu spirituel.

Il s’agit d’un article brillant et qui nous a été très utile, en ceci qu’il nous a fourni un grand nombre des contre-arguments de cette thèse.

¨ CROHMĂLNICEANU Ovidiu, Literatura română între cele două războaie mondiale [La littérature roumaine de l’entre-deux-guerres], I, édition revue, Bucarest: Minerva, 1972, pp. 334-336.

L’auteur de cette synthèse réputée sur la littérature roumaine de l’entre-deux-guerres montre qu’avec La Medeleni Teodoreanu a voulu, tout comme Alain-Fournier dans Le grand Meaulnes, retrouver «l’aura mythique du temps des candeurs non-répétables».

La thèse du critique est que Teodoreanu pose avec La Medeleni les prémisses du Bildungsroman dans la littérature roumaine, sans toutefois parvenir à réaliser un véritable roman de formation: Teodoreanu accorde en effet trop peu d’importance aux problèmes matériels de l’existence dans le parcours de ses héros.

Ces pages d’Ovidiu Crohmălniceanu consacrées à Teodoreanu ne se veulent pas une relecture absolument originale de notre roman, mais elles l’éclairent plus d’une fois par la pertinence de leurs remarques .

¨ ELIADE Mircea, «Ionel Teodoreanu», Revista universitară, I,1926(2), pp. 50-53.

Dans cette étude qui dit relever du dilettantisme littéraire, Mircea Eliade entreprend de définir la forme et la portée de La Medeleni, «vaste recueil de poèmes en prose, de saynètes dialoguées, de lettres en parler et en orthographe moldaves, d’analyses subtiles et d’observations ironiques». Selon le jeune étudiant en philosophie, Teodoreanu a dû créer un nouveau langage adapté à son sujet d’étude _ la sensibilité d’âmes aux confins de l’enfance, et dont il a l’intuition géniale et originale. Teodoreanu n’est donc plus un conteur, mais un poète en prose promouvant une nouvelle esthétique dans le roman roumain des années 1920. Eliade dénonce l’invraisemblance de certains caractères de La Medeleni, mais relève la réussite du personnage d’Olguţa et de dialogues saisis avec naturel et spontanéité. Le style de Teodoreanu est défini comme «un mélange curieux de Proust et de Sadoveanu, de Samain et de Topârceanu», de moldovénisme et de modernité exacerbée: «un amalgame d’adjectifs [...], cueillis à la pincette, de pastels teintés de nostalgie, de crayonnages délicats comme les ombres japonaises, de mots à l’arôme patriarcal ou à la frivolité mondaine»; ce style se caractérise enfin par «une chasse effrénée à l’épithète rare, à l’observation inédite, à l’alliance de mots suggestifs».

Selon Eliade, Teodoreanu allie donc la tradition roumaine à la modernité occidentale: «le milieu patriarcal de Medeleni est considéré à travers l’expérience des modernistes français», celle de Proust et des symbolistes. En ce sens, son œuvre participe à l’universalisation de la littérature roumaine.

Voici un texte important, écrit par le futur grand historien des religions, et qui éclaire de façon originale la portée esthétique de La Medeleni.

¨ HOLBAN Anton, «Despre dialog» [Sur le dialogue], România literară, I, 1932(32), p. 1.

Dans cet important article, l’auteur de Romanul lui Mirel met en doute la valeur littéraire du dialogue et mentionne son emploi chez Maupassant, Proust, Huxley et Hortensia Papadat-Bengescu.

La moitié de l’étude est consacrée à Ionel Teodoreanu, sévèrement critiqué avec une reprise des reproches adressés par Eugen Lovinescu et Ion I. Cantacuzino sur l’art romanesque de La Medeleni: illisibilité du roman due à l’excès de dialogue et d’images, caractère conventionnel de personnages manquant d’une expérience réelle de vie, abus de «scènes piquantes» et qui cèdent trop facilement à la mode.

L’article d’Anton Holban est intéressant pour la question qui nous occupe, parce qu’il émane d’un des principaux tenants du roman moderniste roumain, et qu’il synthétise les principales critiques adressées à Teodoreanu.

¨ IBRĂILEANU Garabet, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni», in Scriitori români şi străini [Écrivains roumains et étrangers], Iaşi: Viaţa Românească, 1926, pp. 177-179.

Paru dans Viaţa Românească en 1926 et portant donc sur Hotarul nestatornic et Drumuri, cette première pièce du dossier de la réception de Teodoreanu en Roumanie est une lecture de La Medeleni dont l’enthousiasme est tempéré par quelques réserves.

Selon Ibrăileanu, l’écriture romanesque de Teodoreanu se caractérise par une grande «puissance de création objective» et par un souci d’observation réaliste. L’originalité de notre auteur est de créer de nouvelles structures capables de représenter la discontinuité de l’âme enfantine, dont il possède par ailleurs l’intuition et «l’hallucination»: ainsi Hotarul nestatornic se constitue en «scènes» et «tableaux», ou en «moments» comme chez Caragiale; l’action des personnages est représentée et non racontée, à travers des dialogues spontanés jouant une fonction dramatique. Avec la maturation des principaux personnages, Drumuri marque le passage du moment à l’intrigue.

Les personnages de La Medeleni sont une création objective: le lyrisme de l’œuvre n’est que leur «retentissement» dans l’âme de l’auteur. Selon Ibrăileanu, ils s’imposent à l’imagination «par leurs actes, leurs gestes, leurs paroles». Le talent de Teodoreanu réside d’abord dans l’individualisation des caractères enfantins, généralement indifférenciés dans la nature, et dans la mise en relief de leur génie commun, puis dans la variété des types représentés, qui «tend toujours plus à épuiser la psychologie humaine». Ibrăileanu note en particulier le génie de Teodoreanu dans la création de types de femmes et de jeunes filles. En ce sens, Olguţa est considérée comme la plus belle réussite de la littérature roumaine.

Les réserves d’Ibrăileanu concernent seulement la peinture du paysan (moş Gheorghe est selon lui «une sorte de paysan de carnaval») et l’imagisme outrancier. Du reste, Teodoreanu est pour lui «le plus authentique et le plus enchanteur poète en prose de la nature, depuis Hogaş, Sadoveanu et Galaction». Sa peinture de l’univers est à la fois celle d’un traditionnaliste et celle d’un moderniste. Ibrăileanu résume de la façon suivante l’originalité romanesque de Teodoreanu dans La Medeleni: «Impressionniste quand il décrit et souvent quand il expose, il est tolstoïen dans la création de la vie humaine par la richesse et la minutie du détail réaliste, et par la puissante évocation de l’atmosphère où évoluent ses personnages.»

Ces pages capitales de celui qui a lancé Ionel Teodoreanu et qui a promu Marcel Proust en Roumanie, valent par leur discernement et par la primauté de leurs analyses.

¨ LOVINESCU Eugen, Istoria literaturii române contemporane [Histoire de la littérature roumaine contemporaine], IV, Bucarest: Editura Ancora, 1928, chapitre XIII, pp. 143-157; Editura Minerva, Bucarest, 1981, vol. III, pp. 100-109.

Le critique entreprend une démolition en règle de La Medeleni, avec toutefois une certaine bienveillance pour le dernier volume de la trilogie. Le discours de Lovinescu résume à lui seul tous les reproches adressés à Ionel Teodoreanu par la critique de l’époque. Selon le mentor de Zburătorul, La Medeleni n’est qu’une rénovation tardive du semănătorisme par l’apport d’éléments modernistes, avec finalement les mêmes ancêtres «qui soufflent bruyamment la fumée de leur chibouque depuis la terrasse de leurs maisons de boyards, ou qui n’en finissent pas de siroter leur café». Trois reproches sont adressés au jeune romancier.

D’abord, l’erreur psychologique qui consiste à croire en «la possibilité d’un roman d’enfants et seulement entre enfants», sans épaisseur narrative ou psychologique, sans dynamisme. Ensuite, l’insuffisance architectonique, le manque d’organisation du roman. La Medeleni est, selon Lovinescu, un roman d’atmosphère, de milieu, et donc «fatelement pulvérisé en différents héros et dans des actions centrifuges». Enfin, un lyrisme dissolu, non maîtrisé, propre, selon Lovinescu, à tous les écrivains moldaves, ainsi qu’un pansensualisme outrancier dans le second volume, où s’affiche une «véritable fornication universelle».

Toutefois, Eugen Lovinescu juge le troisième volume, Între vânturi, plus organisé; il reconnaît à Teodoreanu «le talent de créer dans la lave de l’enthousiasme la vie dans toutes ses dimensions, des types individualisés, organiques», mais malheureusement «noyés dans une végétation inextricable de détails et de films épisodiques».

Ce chapitre fondamental de la réception critique de notre roman est certes tendancieux, puisqu’il émane du chef de l’école moderniste roumaine; sa lecture n’en demeure pas moins féconde, par la sagacité des remarques et par l’adéquation étroite au sujet traité ici. Cette thèse est fort redevable à Lovinescu, dans la mesure où le grand critique roumain lui fournit un grand nombre de contre-arguments au centre de son débat.

¨ PETRESCU Camil, «Ionel Teodoreanu, La Medeleni», Cetatea literară, I, 1926(9-10), p. 66.

L’auteur de Patul lui Procust, disciple roumain de Marcel Proust, relève chez Teodoreanu deux traits caractéristiques: une incomparable habileté aritistique et un amour chaleureux des belles choses. Selon Camil Petrescu, l’auteur de La Medeleni réutilise la méthode classique du roman français, en l’enrichissant des apports des écrivains russes: la création romanesque s’élabore par des «incidents de vie», par la représentation directe des faits et des hommes. L’écrivain roumain développe des dialogues d’une virtuosité rare, ainsi qu’un art très sûr de la description.

Ce texte d’un des plus grands romanciers roumains du XXe siècle éclaire de façon originale l’art romanesque de Teodoreanu dans La Medeleni.

¨ POPA Marian, Medelenii sau starea de vacanţă [Medeleni ou l’état de vacances], in Ionel Teodoreanu, La Medeleni, vol. I, Hotarul nestatornic, Bucarest: Albatros, 1970, pp. 5-35.

Cette introduction à l’édition de La Medeleni dans une collection destinée aux lycées passe en revue les aspects majeurs de notre trilogie, dans une démarche claire et convaincante.

La partie intitulée «L’univers du medelenisme» donne une définition existentielle du medelenisme, considéré comme l’état de vacances, de l’enfance biologique ou psychologique, dans un monde de liberté et de disponibilité. Marian Popa fait une brève allusion au Bildungsroman, et au roman du roman élaboré dans l’esprit de Gide et d’Aldous Huxley; il insiste davantage sur le système des personnages et sur les mutations compositionnelles des romans de la trilogie, des instantanés de Hotarul nestatornic à l’éclectisme fantaisiste de Drumuri, et déplore dans Între vânturi une certaine «incongruité du baroque organisé maladroitement».

La partie consacrée aux «Traits spécifiques de l’art du roman» est suggestive et particulièrement intéressante. Deux traits caractérisent, selon Marian Popa, la structure narrative de La Medeleni: «l’observation réaliste et le filon poétique, de transformation de la réalité», bref: «la fusion de vie et de légende» dont parlait Teodoreanu. Dans sa définition des procédés du réalisme romanesque chez notre écrivain, Marian Popa reprend les thèses d’Ibrăileanu et de Vianu, en les étayant largement. L’unité narrative de La Medeleni, dans le premier volume surtout, est l’instantané, ou moment, ou saynète, qui illustre une esthétique de la discontinuité, de la fragmentation et de l’immédiateté, préférant la représentation à la relation. La description, impressionniste, reprend les procédés de l’observation distributive et crée souvent l’impression du cliché. Le dialogue est d’une virtuosité rare, et qui place Teodoreanu immédiatement après Caragiale; il accroît l’authenticité et la véridicité des situations, et fonctionne par particularisation (moldovénismes, faits de langue). Bref, Teodoreanu emploie, selon Marian Popa, les procédés traditionnels de la méthode réaliste appliquée au roman, mais il innove par l’oralité du style, l’accumulation des parties de propositions de même type, l’emploi de néologismes et de barbarismes à connotation mondaine, et le rendu fidèle de la vivacité de la conversation familière surprise dans ses plus subtiles modulations..

Selon le critique, Teodoreanu est plus original dans le traitement «artistique» de la matière romanesque. Popa reprend la thèse de Vianu sur la richesse de l’imagisme teodorenien, qui lasse par saturation du procédé. Mais il insiste de façon nouvelle sur la fonction humoristique et comique de la métaphore, par effet d’accumulation, et sur son développement dans le système de la rhétorique baroque et précieuse.

On peut regretter parfois que l’accent soit insuffisamment mis sur la portée des remarques; il n’en demeure pas moins que l’introduction de Marian Popa est du plus haut intérêt pour la question qui nous concerne, et qu’elle ouvre plus d’une fois des pistes de recherches dans bien des domaines.

¨ RALEA Mihail, «Ionel Teodoreanu», Adevărul literar şi artistic, VIII, 1927(336), pp. 1-2. Reproduit dans Portrete, cărţi, idei, Bucarest: E.P.L.U., 1966, pp. 58-70.

Dans cet article remarquable, le sociologue et psychologue Mihail Ralea analyse de façon magistrale les principaux traits de la «génération Medeleni»: génération mixte, d’avant et d’après-guerre, nourrie de symbolisme et de mysticisme, mais aussi de réflexions existentielles. Il définit également l’originalité de la peinture sociale de Teodoreanu, celle de la bourgeoisie moldave en pleine décadence, esthète et raffinée, insouciante et joviale, dans la lignée de l’esprit boyard d’autrefois, et note chez l’artiste un sens profond de la psychologie, notamment adolescente, qui «varie entre deux notes extrêmes: rêve et sensualité».

Mais les remarques les plus intéressantes de Ralea concernent la composition et le style de La Medeleni. Selon le critique, une construction narrative classique, avec un découpage de la matière romanesque en moments forts et caractéristiques, aurait correspondu à une vision d’adulte, linéaire et atone: pour l’être immature il n’y a pas de moment culminant, tout est événement et tout est important. Les choix architectoniques et stylistiques originaux sont ainsi en harmonie avec le sujet même de l’œuvre. «La composition du roman de Ionel Teodoreanu, conclut Mihail Ralea, rappelle les procédés d’évolution de l’élan vital lui-même.»

Malheureusement, cette vie représentée, excessivement riche, donne à La Medeleni la dimension et la densité d’une «forêt tropicale» où l’on se perd; Ralea émet donc certaines réserves sur le style chargé, ornemental du roman, notamment dans Drumuri et dans Între vânturi, équivalent littéraire du rococo architectural. À cet effet baroque participent aussi la pléthore des citations, des lettres et du hors-texte en général, et l’immixtion dans le monde fictif des réminiscences personnelles de l’auteur, qui font perdre au roman sa spontanéité et donnent au style un caractère parfois artificiel et ennuyant.

Voici un texte stimulant pour la réflexion et mesuré dans son argumentation, et qui, notamment en ce qui concerne la composition du roman La Medeleni, nous a ouvert bien des pistes de recherche.

¨ SUCHIANU D. I., «Dulce meu prietenul meu, Ionel Teodoreanu» [Mon doux ami, Ionel Teodoreanu], Viaţa Românească, 1974(3), pp. 24-32. Reproduit dans Alte foste adevăruri viitoare [Autres feu vérités à venir], Bucarest: Minerva, 1983, pp. 47-57.

Malgré son titre, cet article est très peu biographique. Suchianu, ancien collègue de lycée de Teodoreanu puis ami indéfectible de Ionel, connu comme historien du cinéma en Roumanie, démontre que l’auteur de La Medeleni opère une véritable révolution esthétique dans le roman roumain des années 1920.

Ce texte très intelligent et stimulant pour l’esprit permet d’appréhender de façon nouvelle le problème de la métaphore teodorenienne, ses fonctions narrative et gnostique, dans une perspective bergsonienne. Suchianu voit en Teodoreanu un illustrateur du surréalisme littéraire, en ceci que chez le romancier roumain le moi ne s’imprime plus dans l’objet mais dans le moi lui-même, ainsi qu’un précurseur de la Lanterne tchèque des années 1960, par l’utilisation du polyimagisme pour attaquer la réalité sous tous ses angles.

Texte court mais fondamental pour qui veut réfléchir sur la valeur esthétique de la métaphore teodorenienne dans l’art du roman.

¨ TEODOREANU Ionel, Cum am scris Medelenii, conferinţă ţinută în ziua de 5 decembrie 1937 la Sibiu [Comment j’ai écrit La Medeleni, conférence tenue le 5 décembre 1937 à Sibiu], ed. Al. Oprea, Manuscriptum, II, 1971(2), pp. 119-133; ed. N. Ciobanu, Iaşi: Junimea, 1978, pp. 163-182.

Dans cette conférence tenue dans plusieurs villes de Roumanie avant la Seconde guerre mondiale, Teodoreanu essaie à la fois de démentir le caractère autobiographique de La Medeleni et de préciser sa conception du roman.

Hotarul nestatornic n’est pas une «biographie» romancée de son auteur, mais la première étape de la vie des trois héros du roman. Certes, l’œuvre doit beaucoup à la vie, mais à une vie sublimée par le mensonge esthétique, à visée déformante. Selon Teodoreanu, le personnage littéraire est protéiforme, en ceci qu’il résulte d’une combinaison de traits extérieurs propres à plusieurs personnages réels. Olguţa, Dănuţ et Monica ne sont en fait que des «virtualités incarnées» de son âme.

Teodoreanu définit ensuite ce qu’il appelle les deux catégories de romanciers. Le romancier touriste, avide de culture, féru de psychologie et de sociologie, aspire à démonter le mécanisme de la vie spirituelle; la composition romanesque chez lui est parfaite, claire, graduée, avec un sujet et un plan préétablis, comme chez Paul Bourget par exemple. Le romancier aventurier ignore qu’il va écrire; il improvise sans cesse, crée des personnages qu’il laisse vivre dans la fiction; le sujet n’est pas préétabli mais naît du choc entre les personnages: la composition est «anarchique, touffue, vitaliste», comme chez Tolstoï, Dostoïevski, Gorki, Istrati. Teodoreanu se définit comme un romancier aventurier, «animé par la nostalgie de l’inconnu», et pour qui le roman constitue une aventure existentielle, une découverte de ce qui n’est que virtuel. Il affirme la spontanéité de l’écriture de La Medeleni, transcription de moments rêvés, sublimée par une «ivresse créatrice».

Ces pages du paratexte medelenien contiennent beaucoup de remarques obvies aujourd’hui mais qui éclairent singulièrement le processus de la création romanesque chez Ionel Teodoreanu dans La Medeleni, et qui suggèrent l’étendue de ses lectures classiques et modernes.

¨ TOMUŞ Silvia, Ionel Teodoreanu sau Bucuria metaforei [Ionel Teodoreanu ou la Joie de la métaphore], Cluj: Dacia, 1980, 221 p.

Voici un volume riche en informations de tous ordres, à la fois sur la vie et l’œuvre de Teodoreanu et surtout sur ses idées littéraires. Silvia Tomuş redonne, comme l’a fait Nicolae Ciobanu, mais dans une perspective éclairante et dans une construction très musicale («Les premiers accords», «Préludes», «Recherches, variations»...), les principaux matériaux où s’élabore la réflexion esthético-littéraire de Teodoreanu, centrée sur le rapport entre la création artistique et l’existence: interviews, conférences, préfaces, souvenirs, publications diverses.

Certes, l’auteur de cette monographie attribue à Teodoreanu un Prix Fémina parisien imaginaire, juge sévèrement l’imagisme medeleniste et effleure plutôt le problème de la métaphore jubilatoire; mais, parmi les critiques roumains contemporains, Silvia Tomuş est l’un des rares, sinon le seul, à avoir entr'aperçu la modernité d’une écriture romanesque qui fait se confondre de façon tout à fait originale le roman et son atelier. Comme Ovidiu Crohmălniceanu, elle voit dans La Medeleni «un Bildungsroman unilatéralement et partiellement réalisé».

Cet ouvrage appareillé d’une riche et excellente bibliographie est un petit livre précieux.

¨ VIANU Tudor, Arta prozatorilor români [L’art des prosateurs roumains], Bucarest: Editura contemporană, 1941, pp. 366-372.

Voici une étude entièrement consacrée à l’art romanesque de Teodoreanu, par le plus grand stylisticien roumain du XXe siècle, dans une synthèse célèbre sur les techniques de la prose.

Tudor Vianu situe La Medeleni dans le courant du nouveau roman roumain des années 1920, dans la lignée de Ion de Liviu Rebreanu, qui exerce une émulation chez les jeunes prosateurs de l’époque. La tendance est alors vers le roman-fleuve, et l’effort des auteurs porte sur la composition, l’invention et l’approfondissement psychologique. En ce sens, La Medeleni constitue, selon le stylisticien, «la plus grande réplique au roman de Rebreanu».

Vianu place également notre roman dans le cadre d’un «nouveau réalisme» (le troisième, chronologiquement, dans l’histoire de la littérature roumaine), orienté, chez Teodoreanu par exemple, vers le roman à préoccupations «artistiques», dans le prolongement de Delavrancea et de Zamfirescu, et non vers le roman à préoccupations «analytiques», comme chez Rebreanu ou Hortensia Papadat Bengescu, qui travaillent sur le vif et tentent de miner les procédés artistiques.

Vianu définit l’ensuite l’originalité de notre romancier, promoteur d’un «véritable rococo moldave», et, dans son approche du monde de l’enfance, «peintre de scènes gracieuses». Un autre élément de l’art romanesque de Teodoreanu, et qui n’apporte rien de nouveau, est la tendance à narrer très rarement et à mettre en scène les personnages au moyen de dialogues particulièrement expressifs et révélateurs. De même, la composition romanesque «en une suite de saynètes» n’a rien d’original, puisque, toujours selon Vianu, «Teodoreanu compose ses romans avec les plus vieux trucs des auteurs de croquis».

Certes, l’originalité des images est incontestable chez l’auteur de La Medeleni, mais, pléthoriques, elles s’affaiblissent et perdent ainsi leur vertu libératrice: Teodoreanu tombe souvent dans le travers de l’imagisme; son esprit devient, comme dit Taine, «un polypier d’images», qui lasse celui du lecteur malgré un «bouillement de vie» incontestable et enthousiasmant.

De très bonnes pages introductives, en rapport direct avec notre question, mais qui restent malheureusement trop générales.

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