LE MYSTÈRE POÉTIQUE EST UNE ANDROGYNIE BACHELARD
1982 VICTORIA ANNA TAUSAN
HYMNE
(Extraits)
traduit du roumain par Michel WATTREMEZ
du transplant de désir, de la nuit devenant miraculeuse, quand la corne de licorne fend le ciel vers l'astre seul.
Du cérémonial plein de murmures qui prépare le cri annonçant dans la forêt une flèche. De la faute permise de sentir les murailles de Jéricho dans sa chair.
De millénaires perpétuités, comme la pierre de la pierre et du ciel les étoiles. De deux parents frémissant de silence. De deux âges un instant réunis.
De l'effondrement des tendres paysages, quand les lacs infusent leur couleurs aux cils ombreux des sapins. Par le hasard du grand tourbillon chu jusqu'aux paroles mielleuses.
De la peur d'être seul de ces deux solitudes avant nous. De deux bouches humant leur source. De la souffrance chue jusqu'au sommeil.
Des phrases riches de terre où fructifie soudain notre âme. De la page qu'une main veloute d'herbes ou de couleurs bleues.
De la pendule trop vieille pour dormir. De la table pour qui nous pensons pain au coeur de chaque jour. Du cadre à l'épée d'or, à l'espace empli de tout ce que nous fûmes.
Des assiettes à fond de pommes et d'oiseaux, quand le vent tourmente les jardins. Du plaisir sacré de la lumière sur un monde engourdi entre les pages.
De la tragique attente, quand les murs sont les quatre voiles blanches d'un bateau. Des fleurs qui rêvaient d'Eden et qui n'ont que l'argile d'un pot de terre.
De la beauté du rayon de livres où dorment des destins verticaux. Du lit sur lequel nous nous jetons captifs, en rêvant de naître aussi.
Nous naissons de la haine aux défenses d'ivoire. Nous naissons de la bonté, égarés parmi les eaux montantes autour de nous. Nous naissons de l'amour au sabre brisé et n'avons même pas la preuve d'avoir tué le dragon dormant dans la fontaine.
Nous naissons du plaisir comme les aveugles et voulons être crus pour ce que nous avons vu. Nous naissons de la perfidie, en sentant notre bouche comme une profonde blessure de la semence, inguérissable, malgré tous les onguents et les bonnes paroles.
Nous naissons de l'amitié au regard de soleil à jamais meurtri, à ne plus savoir si c'est or ou cendre que la couleur de notre âme rocheuse. Nous naissons de l'offre volontaire, comme d'une amphore dont la beauté s'est incrustée d'algues.
Nous naissons du triomphe d'un instant, la crinière dans le vent, en sachant que nous attend le saut céleste du haut de l'hypothèse. Nous naissons du bonheur, guéris de ne le désirer que pour tout ce qu'il est. Nous naissons de la jalousie, comme l'épée laissée sur le gravier d'un ruisseau.
Nous naissons du drame de la vieille gloire, vieillis par le soin d'une arête. Nous naissons de l'attente sans ailes, brûlés par sa haute flamme.
Nous naissons des longues indifférences, en portant la cire de l'âme sur notre visage. Nous naissons de la joie brutale, en la sentant encore parfois lorsqu'il y a des larmes et qu'il est injustice à l'horizon de notre vieille Terre.
Nous naissons de la souffrance, heureux que rien n'ai été comme il aurait dû être. Nous naissons de l'ordre pré-établi; mais quel qu il soit, tout chant a ses limites. Nous naissons du mystère de lui-même mystère, des corps, des désirs et pensées de la veille.
Publié avec le concours du Centre National des Lettres
|