Malraux en Thaïlande :

du musée imaginaire à la mise en œuvre d’une politique culturelle

  

Le centenaire de la naissance d’André Malraux (1901-1976) et le vingt-cinquième anniversaire de sa mort ont été célébrés dignement en Thaïlande, avec un temps fort marqué en novembre par le colloque consacré à la vie et à l’œuvre de l’écrivain et ministre français.

 

On trouvera ici les actes de ce colloque organisé par le département de français de l’Université Silpakorn à Bangkok (Faculté d’Archéologie), et qui réunissent les contributions exceptionnelles de François de Saint-Cheron, maître de conférences à l’Université Paris IV-Sorbonne, coéditeur des Œuvres d’André Malraux dans la Pléiade, laissant également – et j’y insiste beaucoup – une large place aux travaux d’universitaires et de chercheurs thaïlandais. Aux premiers rangs je citerais Mme Sodchuen Chaiprasathna (Université Silpakorn)[1], Mme Chintana Damronglerd (Université Thammasat), Mme Walaya Wiwatsorn (Université Chulalongkorn), Mme Thira Suksawasdi Na Ayuttaya (université de Chiang Mai).[2]

Comment expliquer l’attrait exercé sur les Thaïlandais par l’œuvre et l’action de Malraux ? Certainement pas par un phénomène de mode ou d’imitation, puisque l’événement de Bangkok s’inscrit dans la continuité d’une série de conférences données en 1996 déjà par François de Saint-Cheron, réunies à l’époque par Mme Supaporn Apavatcharut, professeur à l’université de Chiang Mai, avec d’autres contributions françaises et thaïlandaises[3]. L’explication est à chercher plutôt dans le contexte politique, culturel et social propre à la Thaïlande de 2001, avec l’actualité pressante d’une politique et d’une action culturelles à mettre en œuvre par les autorités de ce pays, pour une réappropriation de la culture thaïlandaise par les Thaïlandais eux-mêmes, pour une intégration à sa juste place de la spiritualité thaïlandaise dans les valeurs culturelles universelles, et dont les principes pourraient, si j’en crois les experts, s’inspirer fortement – en les adaptant bien sûr au pays des Thaïlandais – de la vision, des principes et des objectifs d’André Malraux lui-même, quand il pose la pierre fondatrice de son ministère des affaires culturelles : « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français »[4].

 

Ce qui ressort de ces actes et des discussions du colloque de Silpakorn, c’est précisément l’hypostase d’un Malraux visionnaire, en phase avec son temps et conscience critique de son époque, mais aussi engagé avec enthousiasme dans la réalisation d’un projet universel (Le Musée Imaginaire), et qui transcende le XXe siècle. Pragmatisme lucide certes - puisque l’action du ministre dans presque tous les champs de l’art et de la culture, à force de programmes, de mesures politiques et de décisions budgétaires, a profondément modifié l’esprit public français contemporain et contribué à la création de centres où n’ont pas pied les marchands du temple –, mais aussi vision prométhéenne, celle d’un esprit religieux sans foi[5], comme il se caractérise lui-même, oeuvrant à la construction d’une planète aux cultures et aux oeuvres sans cesse métamorphosées.

 

Le lecteur thaïlandais curieux retrouvera ici les pistes érudites qui le mèneront aux innombrables écrits de Malraux – romans, essais, publiés en français et parfois traduits en thaïlandais[6]. Il reverra aussi le parcours vivant de Malraux comme témoin et acteur de son temps à travers l’exposition[7] que lui a consacrée l’Université Silpakorn en même temps que le colloque, et qui circulera en 2002 dans les principales universités de Bangkok et de Thaïlande: l’enfance et l’adolescence à Paris et à Bondy en région parisienne, les premiers séjours en Indochine avec Clara Malraux jusqu’à la publication de La Voie royale en 1930, puis les thèmes autour desquels se cristallise l’existence de Malraux, son engagement contre le colonialisme et contre le fascisme, sa participation à la guerre en Espagne aux côtés des Républicains en 1936, à la Résistance en France pour une France libre, son action culturelle et son dialogue avec les artistes et les hommes et femmes de son temps et de tous les horizons.

 

Puissent ces actes participer (un mot cher à Malraux) à la rénovation en Thaïlande du regard porté sur la création culturelle et artistique, et à l’action à mener pour la mettre à la portée du plus grand nombre de Thaïlandais.

 

                  Michel Wattremez

(Actes du colloque : le Centenaire de la naissance d'André Malraux, Université Silpakorn, Bangkok, 27-28 novembre 2001, pp. 7-8.)


[1] Elle vient de publier une note remarquée sur le livre de Claude Mollard, Le 5e pouvoir, dans la Revue des lettres modernes, André Malraux 11, Paris-Caen: Lettres modernes Minard, 2001, pp. 233-235, et publiera en juillet 2002 une monographie très attendue sur Malraux, écrivain, critique d’art et ministre (Amarin Printing and Publishing).

[2] Ajoutons la participation d’un universitaire francophone de l’université de Laval, M. Jean-Marcel Paquette, et celle d’un témoin de Malraux: Mme Alka Javakar (Inde).

[3] André Malraux en Thaïlande, Contributions réunies par Supaporn Apavatcharut, préface de Gilles Louÿs, Chiang Mai: Ming Muang, 1996, ISBN 974-89800-6-5.

[4] Décret du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère chargé des affaires culturelles, Journal Officiel, 26 juillet 1959, p. 7413.

[5] Lettre à François Mauriac, 6 novembre 1969.

[6] Voir la communication de Mme Walaya Wiwatsorn, infra. D’André Malraux on a publié en thaïlandais aux Editions Butterfly La tentation d’Occident [trad. T. Suksawasdi Na Ayuttaya], La Voie royale [trad. Walaya Wiwatsorn] et Esquisse d’une psychologie du cinéma [trad. Kannika Chanseng]. Sous presse : La Condition humaine [trad. Walaya Wiwatsorn].

[7] L’exposition a été réalisée par l’A.D.P.F. et le Ministère français des Affaires Etrangères, sous la direction scientifique de M. François de Saint-Cheron, maître de conférences à l’Université Paris IV Sorbonne.

 

(c) Michel Wattremez, 2002  for text only

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