Anthologie bilingue français-thaï de la poésie française du XXème siècle, sous la direction de Chetana Nagavajara, Bangkok: , 2002.

ISBN 974-7235-88-9

Préface

 

En définissant la poésie comme « une force intellectuelle et spirituelle de la société contemporaine » (1), le Professeur Chetana Nagavajara inscrit un projet culturel thaïlandais d'envergure internationale dans le cadre des préoccupations essentielles des artistes d'aujourd'hui : comment défendre et illustrer les valeurs de l'humanité, dans la richesse de ses différences ?

 

Je dois dire que ce qui me plaît, dans la définition d'un polygraphe de la taille du Professeur Nagavajara, c'est qu'elle place la poésie au cœur même du social, comme mission utile et comme action.

 

On en revient – mais pour aller beaucoup plus loin – aux origines mêmes de la poesis, comme création, re-création, quand la conscience se dégage du magma primordial en nommant et en participant, quand l'être se différencie du cosmos, dans ta perspective de Jung. C'est bien la fonction rituelle de la parole qui est en jeu dès lors, à cette aube de l'humanité, le pouvoir d'enchantement et la force jubilatotre que donne la recréation (récréation) de l'univers à partir du néant.

 

Au cours de son expérience historique, la poésie s'est fondée à partir de ces éléments primordiaux, et constituée, avec son discours, ses genres, ses registres, sa figuralité, ses mètres, ses mouvements – et avant tout ses poètes.

 

Fidèle au projet du Professeur Nagavajara, et au principe qu'il rappelle des études littéraires et humanistes (établir pour les jeunes des ponts entre les cultures du monde) (2), une équipe d'universitaires thaïlandais – Achara Wanachaet, Ubon Chotivisit et Thira Suksawasdi na Ayuthaya – a tenté ici de présenter une trentaine d'entre eux, issus de l'aire francophone, comme des consciences critiques de notre temps.

 

L'alignement alphabétique de ces noms et de ces destins (tels poètes comme Guillevic, Bonnefoy ou Queneau hantent les écoles, d'autres sont mal connus du grand public même en France) ne doit rien à l'arbitraire de ces spécialistes et traducteurs, mais participe du mode de l'anthologie, que Michel Deguy, l'un des chantres de l'extrême contemporain, définit comme la seule forme de liberté permise à une poésie « en résistance » (3). En résistant, en faisant de la poésie un état d' « insubordination magistrale » (4), du Royaume de Thaïlande et fort de sa culture bouddhique, le Professeur Nagavajara  communie simplement avec la pensée de Deguy : une force intellectuelle et spirituelle ne vaut certes que si elle s'oppose à d'autres valeurs matérielles qui pétrifient le monde et l'humanité paroles figées, langues de bois et glacis de la pensée qui éloignent les uns des autres les hommes et les cultures de la Terre.

 

Au moment de quitter leur pays où j'ai vécu autrement quatre années, je ne sais comment remercier les auteurs thaïlandais de ce travail remarquable d'avoir tissé entre nos univers et nos imaginaires les liens fragiles qui nous unissent à toutes les cultures du monde.

 

Michel WATTREMEZ

Ambassade de France en Thaïlande

1 Research Project, Summary of Fundings, Nakhon Pathom, Thailand, 1998.

2 Chetana Nagavajara, Comparative Literature from a Thai Perspective, Bangkok : Chulalongkorn University Press, 1996, p. 6.

3 Michel Deguy, « De îa poésie aujourd'hui », in Des poètes français contemporains, Paris : Association pour la Diffusion de la Pensée Française, 2001, p. 17.

4 Claude Esteban, « Le travail du poème », in La poésie contemporaine en France, http://culturel.org/adpf/poesie

 

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