Lycée Joliot Curie 92000 Nanterre

Devoir surveillé

2nde 6 - 2nde 13 Euro

 

Objet d'étude: le roman et la nouvelle au XIXe siècle: réalisme et naturalisme

Séquences nº 2: Un roman réaliste du XIXe siècle: Au Bonheur des Dames (Emile Zola, 1883)   

 

Ecriture d'invention - sujet (l'énigme de M. Robineau)

Conception: M. Wattremez

 

Texte de référence: Emile Zola, Au Bonheur des Dames, 1883, chapitre 14. Contexte du passage: Geneviève, la fille de Baudu, vient de mourir de chagrin à cause de Colomban. Robineau est un marchand de vêtements, comme l'oncle Baudu. Il est spécialisé dans la soie.

 

Un jour, Denise sortait de chez les Baudu, lorsque, au détour de la place Gaillon, elle entendit un grand cri. La foule se précipitait, un coup de panique soufflait, ce vent de peur et de pitié qui ameute[1] brusquement une rue. C’était un omnibus à caisse brune, une des voitures faisant le trajet de la Bastille aux Batignolles, dont les roues passaient sur le corps d’un homme, au débouché de la rue Neuve-Saint-Augustin, devant la fontaine. Debout sur son siège, dans un mouvement furieux, le cocher retenait ses deux chevaux noirs, qui se cabraient ; et il jurait, il s’emportait en gros mots.

— Nom de dieu ! nom de dieu !… Faites donc attention, sacré maladroit !

Maintenant, l’omnibus était arrêté. La foule entourait le blessé, un sergent de ville[2] se trouvait là par hasard. Toujours debout, appelant en témoignage les voyageurs de l’impériale, qui s’étaient levés, eux aussi, pour se pencher et voir le sang, le cocher s’expliquait avec des gestes exaspérés, la gorge étranglée d’une colère croissante.

— On n’a pas idée… Qui est-ce qui m’a fichu un particulier pareil ? Il était là comme chez lui. J’ai crié, et le voilà qui se fout sous les roues !

Alors, un ouvrier, un peintre en bâtiment, accouru avec son pinceau d’une devanture voisine, dit d’une voix aiguë, au milieu des clameurs :

— Ne te fais donc pas de bile ! Je l’ai vu, il s’est collé dessous, parbleu !… Tiens ! il a piqué une tête comme ça. Encore un qui s’embêtait, faut croire !

D’autres voix s’élevèrent, on tombait d’accord sur l’idée d’un suicide, pendant que le sergent de ville verbalisait[3]. Des dames, toutes pâles, descendaient vivement, emportaient, sans se retourner, l’horreur de la secousse molle dont l’omnibus leur avait remué les entrailles, en passant sur le corps. Cependant, Denise s’approcha, attirée par la pitié active, qui la faisait se mêler de tous les accidents, des chiens écrasés, des chevaux abattus, des couvreurs tombés des toits. Et, sur le pavé, elle reconnut le malheureux, évanoui, la redingote[4] souillée de boue.

— C’est monsieur Robineau ! cria-t-elle, dans son douloureux étonnement.

Tout de suite, le sergent de ville interrogea cette jeune fille. Elle donna le nom, la profession, l’adresse. Grâce à l’énergie du cocher, l’omnibus avait fait un crochet[5], et les jambes seules de Robineau s’étaient trouvées engagées sous les roues. Seulement, il y avait à craindre qu’elles ne fussent rompues l’une et l’autre. Quatre hommes de bonne volonté transportèrent le blessé chez un pharmacien de la rue Gaillon, pendant que l’omnibus reprenait lentement sa marche.

— Nom de Dieu ! dit le cocher en enveloppant ses chevaux d’un coup de fouet, j’ai fait ma journée.

Denise avait suivi Robineau chez le pharmacien. Celui-ci, dans l’attente d’un médecin, qu’on ne pouvait trouver, déclarait qu’il n’y avait aucun danger immédiat et que le mieux était de porter le blessé à son domicile, puisqu’il habitait le voisinage. Un homme était allé au poste de police demander un brancard[6]. Alors, la jeune fille conçut la bonne pensée de partir en avant, afin de préparer madame Robineau à ce coup affreux. Mais elle eut toutes les peines du monde à gagner la rue, au travers de la foule, qui s’écrasait devant la porte. Cette foule, avide de mort, augmentait de minute en minute ; des enfants, des femmes, se haussaient, tenaient bon dans les poussées brutales ; et chaque nouveau venu inventait son accident, c’était à cette heure un mari que l’amant de sa femme avait jeté par la fenêtre.

Rue Neuve-des-Petits-Champs, Denise aperçut de loin madame Robineau sur la porte de la spécialité de soies. Cela lui donna un prétexte pour s’arrêter, et elle causa un instant, en cherchant une façon d’amortir la terrible nouvelle. Le magasin sentait le désordre et l’abandon des luttes dernières, dans un commerce qui se meurt. C’était le dénouement prévu de la grande bataille des deux soies rivales, le Paris-Bonheur[7] avait écrasé la concurrence, à la suite d’une nouvelle baisse de cinq centimes : il ne se vendait plus que quatre francs quatre-vingt-quinze, la soie de Gaujean avait trouvé son Waterloo. Depuis deux mois, Robineau, réduit aux expédients[8], menait une vie d’enfer, pour empêcher une déclaration de faillite.

— J’ai vu passer votre mari sur la place Gaillon, murmura Denise, qui avait fini par entrer dans la boutique.

Madame Robineau, dont une sourde inquiétude semblait ramener continuellement les regards vers la rue, dit vivement :

— Ah ! tout à l’heure, n’est-ce pas ?… Je l’attends, il devrait être ici. Ce matin, monsieur Gaujean[9] est venu, et ils sont sortis ensemble.

Elle était toujours charmante, délicate et gaie ; mais une grossesse avancée déjà la fatiguait, elle restait plus effarée, plus dépaysée que jamais, dans ces affaires, auxquelles sa nature tendre ne mordait pas, et qui tournaient mal. Comme elle le répétait souvent, pourquoi donc tout ça ? ne serait-ce pas plus gentil de vivre tranquille, au fond d’un petit logement, où l’on ne mangerait que du pain ?

— Ma chère enfant, reprit-elle avec un sourire qui s’attristait, nous n’avons rien à vous cacher… Ça ne va pas bien, mon pauvre chéri n’en dort plus. Aujourd’hui encore, ce Gaujean l’a tourmenté, à propos de billets en retard… Je me sentais mourir d’inquiétude, à être là toute seule…

Et elle retournait sur la porte, lorsque Denise l’arrêta. Au loin, celle-ci venait d’entendre une rumeur de foule. Elle devina le brancard qu’on apportait, le flot de curieux qui n’avaient pas lâché l’accident. Alors, la gorge sèche, ne trouvant pas les mots consolateurs qu’elle aurait voulu, elle dut parler.

— Ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de danger immédiat… Oui, j’ai vu monsieur Robineau, il lui est arrivé un malheur… On l’apporte, ne vous inquiétez pas, je vous en prie.

 

ECRITURE D'INVENTION

 

Consigne: Imagine que tu es un reporteur qui n’a pas assisté à l’événement raconté dans ce passage de Zola. Un journal t’a demandé d´écrire un reportage sur ce qui s’est passé, pour informer ses lecteurs. Ton enquête doit comprendre 4 parties : 

1. Un titre sous la forme d'une métaphore et un autre sous la forme d'une hyperbole. 

2. Ton récit de ce qui s’est passé. 

3. Ton entrevue avec quatre personnages : le peintre en bâtiment, le sergent de ville (policier), Denise Baudu, Mme Robineau. 

4. Ta conclusion du reportage avec ton avis personnel motivé: accident ou suicide? 

Tu peux insérer des cadres vides avec les photos que tu placerais et leur titre. Aère bien la présentation et mets en évidence les titres. Soigne la langue et la ponctuation.


[1] Attire comme des animaux.

[2] Policier municipal.

[3] Faisait son rapport.

[4] Manteau.

[5] Détour.

[6] Une civière.

[7] La soie vendue par Octave Mouret dans son grand magasin Au Bonheur des Dames.

[8] Réduit à la misère, incapable de payer ses dettes.

[9] Fabricant de soiries et banquier de Robineau.

 

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