Lycée
Joliot Curie 92000 Nanterre
EAF
2016
1ST2S2
Séquence
nº 1: Cours sur L'Or de Cendrars
Résumé
du cours
I
Problématique
En quoi L'Or
participe-t-il au renouvellement
des formes romanesques du
début du XXème
siècle ? Quelle part
le texte de Cendrars
fait-il à la fiction
du récit
d'aventure et au réalisme
documentaire? Le personnage
de Suter est-il
un héros?
En
première séquence nous abordons L'Or de Blaise Cendrars en
oeuvre intégrale. Nous côtoyons les textes littéraires et les documents
comme un détective à la recherche d'un mobile, d'indices,
de preuves. Nous débutons l'année par une enquête sur
l´écrivain, son roman, le moment de sa publication, les événements
racontés dans le contexte de la ruée vers l'or californien aux
Etats-Unis au milieu du XIXe siècle. L'exploration impliquera
différentes activités de lecture analytique et cursive, des exposés
oraux et un commentaire écrit évalué.
Dans
le prolongement du programme de Seconde, dont une partie importante est
consacrée à l'étude du roman et de la nouvelle au XIXe siècle, nous
allons découvrir en Première un roman de Cendrars publié en 1925, écrit
en quelques semaines au retour de
son premier
voyage au Brésil,
contemporain
de Marcel Proust, et original à plus d'un titre. Notre lecture tentera de
faire la part de ce dont Cendrars hérite de la littérature du XIXe
siècle que tu as étudiée en Seconde, et de l'innovation
qu'apporte l'écriture romanesque de l'auteur de L'Or. Nos
interrogations porteront sur plusieurs points: le lien du récit de
Cendrars avec le roman d'aventure, son rapport au réalisme documentaire,
la dimension fictive et légendaire de l'oeuvre, enfin le personnage de
Suter comme héros d'un roman dont le héros est finalement l'Or. Héros
ou mobile? En fait, au
XIXe siècle, dans les grandes sagas romanesques de la Comédie humaine
de Balzac et des Rougon-Macquart de Zola, les passions et
l'argent jouent déjà un rôle décisif et constituent une sorte de
mobile. On pourra se demander si l'or n'exerce pas la même fonction chez
Cendrars en donnant au roman sa dimension épique ou légendaire.
II
Ce
que L'Or doit au roman d'aventure et au documentaire réaliste et
biographique
Nous
pouvons nous demander si L'Or de Cendrars correspond à la
définition fréquente du roman d'aventure comme un récit misant
sur le suspense et sur une grande variété de péripéties accomplies par
un héros positif dans un cadre souvent exotique. Tous les ingrédients de
ce type de roman populaire semblent en effet réunis, avec un Suter héros
fort, "homme d'action" (p. 53), pionnier, voyageur, vagabond,
assoifé d'exotisme et confronté à de multiples aventures
stéréotypées, succès et échecs, depuis Bâle en Suisse jusqu'à Litiz
puis Washington en passant par la Nouvelle-Helvétie, dans sa traversée
de l'Amérique dans les deux sens.
Un
peu dans la lignée du roman réaliste du XIXe siècle, L'Or mise
sur la précision du détail pour produire un "effet de
réel", pour reprendre l'expression de Roland Barthes. Dans sa
préface à l'édition Folio Gallimard, Francis Lacassin insiste sur cette
caractéristique de l'écriture de Cendrars, avec la profusion des
détails, évidente par exemple dans la lecture analytique que nous ferons
de la description de la Nouvelle-Helvétie (VI-23), ou dans la description
des foules assoiffées d'or (X-33), avec en particulier l'abondance de
chiffres et des nombres pour répondre "à un besoin
incantatoire". Autre trait réaliste du roman: la biographie du
général Suter, racontée dans l’ordre
chronologique, de 1834 à 1880, et fondée sur l'histoire réelle du général
Sutter, un aventurier suisse qui fait fortune en Californie grâce à
l'agriculture dans la première moitié du XIXe siècle,
et qui devient très riche avant d'être ruiné par la découverte d'or
en 1848 sur l'immense territoire qu'il a acheté. Assailli par les
chercheurs d'or et par les procès en justice, ce Sutter bien réel est
mort fou à Washington après avoir fondé une secte. Mais ce réel,
Cendrars le transforme par le génie de l'écriture, en le métamorphosant
au lieu de le reproduire, dans
la lignée de Proust et de Kafka. Nous pourrons d'ailleurs nous interroger
sur cet aveu du romancier à propos de L'Or: «Une œuvre de
fiction. Un roman. C’était mon droit le plus absolu. Ma seule raison
d’être un écrivain.»
III
Dimension
fictive et mythique du roman d'un héros déchu, en peau de chagrin
Réaliste
par les côtés que nous venons d'analyser, le roman de Cendrars a
cependant une dimension fictive et mythique, qui le rapproche du roman
utopique. La Nouvelle-Helvétie, par exemple, a toutes les
caractéristiques d'une terre expérimentale régie selon les règles
d'une économie autonome et hors des lois du marché et de l'argent, selon
les principes de Jean-Jacques Rousseau. Dans un article du Figaro
paru en 2007, François Taillandier compare d'ailleurs cette terre
mythique à "quelque chose qui évoque le phalanstère, le kibboutz
et le kolkhoze."
Nous
nous demanderons aussi si le personnage de Suter dans L'Or est un
héros au sens où on l'entend traditionnellement. Il lui arrive bien des
péripéties inouïes comme les héros de l'épopée grecque ou ceux
d'Alexandre Dumas ou de Jules Verne; la découverte de l'or sur ses terres
le transforme d'homme simple et banal en un héros extraordinaire; le
destin le favorise ou le dessert. Mais il est semble plus un héros
moderne, qui perd tout, qui chute, qui déchante, comme dans Les
Illusions perdues de Balzac ou encore Raphaël dans La Peau de
chagrin, un héros déchu, exilé de l'arche.
Conclusion
C'est
sans doute par cette image nouvelle d'un héros romanesque plus en
errance, plus à la dérive, que Cendrars innove en 1925 sur le fond.
Quant aux formes romanesques, il est curieux de constater ici encore le
renouveau comme dans Les Faux-Monnayeurs d'André Gide, roman paru
la même année, mais cette fois-ci dans la forme. C'est le caractère polyphonique,
composite, polymorphe, de L'Or, qui peut nous surprendre, comme
chez Proust et Kafka. Nous pouvons en effet nous interroger sur
le caractère hybride du roman de Cendrars, et qui fait son originalité.
En effet par jeu le romancier montre à plaisir le caractère éclaté de
sa fiction romanesque, en juxtaposant, d'une manière annonçant le
collage des Surréalistes, le dialogue théâtral entre le vieux greffier
et Kloss au début du récit (I-1), le discours de Kewen, premier maire de
San Francisco (XIII-52), l'extrait du journal intime de Suter (X-32), sa
lettre à l'avoué Birmann (XII-46), le couplet de la chanson populaire
allemande (I-1) ou celle des Noirs et des Indiens (XI-39), enfin les
versets poétiques tout au long de l'oeuvre.
C'est
essentiellement l'aventure de cette écriture éclatée et montrée
de Cendrars, qui, plus que celle de Suter, vaut dans L'Or son
pesant d'or.
M.W.
Des cours
de français pour le lycée
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Johann August
Sutter par Franck Buchser, 1866
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